Statines et cancers. Qu'apportent les méta-analyses ?

Une polémique se développe à propos de l’effet cancérigène des statines. Les défenseurs des statines, confrontés à une évidente augmentation des cancers dans certains essais, argumentent en prétendant que, cette augmentation ne se retrouvant pas dans les méta-analyses, elle est probablement due à un effet du hasard. Que penser de cet argumentaire ?


La question de l’augmentation des cancers sous l’effet des traitements anti-cholestérol (régimes et médicaments) a été discuté dans un billet précédent.

Il faut une terrible mauvaise foi, ou une profonde inculture médicale et scientifique, pour défendre l’hypothèse que cet excès de cancers dans les groupes traités pourrait être dû au hasard.
Plusieurs méta-analyses ont été publiées récemment qui confirment cet effet cancérigène des statines en montrant notamment que cet effet est proportionnel à la diminution du cholestérol : plus le niveau de cholestérol atteint est bas et plus le risque de cancers augmente. Voir par exemple Journal of the American College of Cardiology 2007;5:409-18 ou Journal of the American College of Cardiology 2008;52:1141-7.
L’utilisation du taux de cholestérol atteint dans l’essai pour classer les essais dans ces méta-analyses est évidemment judicieux car aucun des essais n’ayant été conçus pour déceler un effet cancérigène possible, ils souffrent tous d’une faiblesse méthodologique primaire. En associant le niveau de risque (de cancer) à celui du cholestérol mesuré dans l’essai, on apporte une information majeure.
Nous n’aurons jamais d’essai clinique avec des résultats définitifs sur les cancers puisque la règle éthique primordiale de l’essai clinique (les patients se prêtant à une recherche clinique doivent y trouver un bénéfice direct) nous interdit de faire des essais pour vérifier de façon explicite la toxicité potentielle d’un médicament.

Pour autant, nous ne devons pas renoncer, Principe de Précaution oblige, à évaluer cet effet cancérigène au moins de façon indirecte. Et puisque la principale faiblesse de notre investigation est le manque de puissance pour mettre en évidence cet effet cancérigène (puisque les essais dont on extrait des données sur les cancers n’ont pas été dimensionnés en taille et en durée pour étudier les cancers), la mise en évidence d’un excès de cancers dans certains essais doit franchement nous alarmer tandis que l’absence d’excès de cancers dans d’autres essais doit d’abord nous pousser à rechercher si tout a été fait pour vérifier les diagnostics de cancers dans ces essais. Il est clair que l’omniprésence des sponsors dans la conduite des essais, et l’évident souhait de ce sponsor de ne pas tuer son médicament doit nous inciter à la plus grande prudence. De même, si un sponsor laisse paraître l’information qu’il y a eu plus de cancers chez les patients traités, c’est que vraiment il y en avait beaucoup !

Vivant dans une société amnésique où c’est toujours le dernier qui a parlé qui a raison, il est essentiel de réfuter systématiquement la validité de travaux qui, sous couvert de haute science, ont de façon plus ou moins explicite l’intention de mettre de la confusion chez le public et les médecins à propos de questions de santé importantes mais grevées de conflits d’intérêt non moins importants.
Dans ce contexte la récente méta-analyse de Mills (Journal of the American College of Cardiology 2008;52:1769-81), et présentée comme la plus sérieuse et la mieux conduite des méta-analyses des essais avec des statines en prévention primaire, doit attirer notre attention.
Les auteurs ont identifié 20 essais à inclure dans leur méta-analyse sur un total de 44 considérés comme relevant pour leur analyse. Un autre est exclu pour une raison inconnue mais une dizaine souffrant pourtant d’une faiblesse majeure (absence de description claire du tirage au sort allocation concealment ; on croît rêver, vraiment !) sont quand même inclus.

Les auteurs écrivent que les statines diminuent de façon significative (quoique de façon très faible statistiquement) la mortalité totale quand ils incluent 19 essais dans leur méta-analyse. Curieusement, quand ils incluent seulement les 9 essais sans aucun défaut technique, ils n’observent plus qu’un effet protecteur très mineur, à la limite de la signification statistique ! Autant dire pas grand chose.
Le même paradoxe apparaît avec la mortalité cardiovasculaire !

Quand à l’effet des statines sur les cancers, les auteurs retiennent 10 essais sur les 20 essais sélectionnés et concluent que les statines n’ont pas d’effet sur les risques de cancers. La question qui nous vient à l’esprit, c’est comment ces essais ont été sélectionnés.
Visiblement, ce n’est pas sur la base de la qualité technique comme pour l’analyse de la mortalité.
Se pourrait-il que seulement 10 essais donnent des renseignements sur les cancers ?
Pas de cancers dans les autres essais ?
Nous voici face à de terribles interrogations. Nous n’osons pas imaginer que ces analystes aient sélectionné les essais en fonction d’une hypothèse (l’innocence des statines) qu’ils voudraient absolument conforter.
Ceci étant dit, il faut rappeler que la première qualité d’une méta-analyse est d’être exhaustive. On peut même dire qu’en l’absence d’exhaustivité, une méta-analyse n’a pas plus de valeur qu’un essai clinique isolé. Alors pourquoi les faire ? Et dans ces cas, pourquoi les lire ?

CONCLUSION
Je suis à peu près certain que pour la majorité des lecteurs de ce billet, il est inutile d’aller plus loin.
La très haute science dont se prévalent ces statisticiens de grande valeur ne nous réconforte pas du tout. Les données scientifiques existantes tendant à disculper les statines d’un effet cancérigène potentiel sont de piètre qualité.
Il est donc préférable que nous nous contentions, pour essayer de résoudre cette terrible question des cancers sous l’effet des statines (voir mon billet précédent sur ce sujet), d’une approche plus conforme à l’analyse scientifique traditionnelle, la méthode dite du GBTDT [Groupe de Braves Types Discutant autour d’une Table].
Espérons que cette honnête proposition trouvera quelque écho !