RETOUR D'AMERIQUE ET DU CONGRES DE L'AHA A LOS ANGELES

Il n’est pas facile de parler de soi. J’en ai conscience, mais il faut aussi « réinjecter » de l’humanité dans le discours scientifique, au risque d’une subjectivité avouée ; je l’avoue donc, car on a tous nos faiblesses, j’ai les miennes, je les expose.
Pour me faciliter la tâche (je n’ai pas beaucoup de temps), je vais faire un peu de « storytelling » et comme modèle je vais utiliser maintenant le ton d’un écrivain qui fait parler ses héros.
En l’occurrence je vais essayer de mimer l’avocat un peu pourri (mais quand même sympa) du roman de Michael Connelly « La défense Lincoln » … Allez je me lance … C’est lui qui parlerait donc !

Après réflexion (c’est long le vol LA-Paris), je suis arrivé à la conclusion que la conférence-controverse (à propos de l’étude JUPITER et des statines) à laquelle j’avais été invité était probablement une sorte de guet-apens organisé par le sieur Ridker (principal investigateur de JUPITER) lui-même et probablement avec la complicité des chairmans ; j’ai écrit deux fois « probablement » car je n’ai pas de certitude, c’est du « feeling » ; de toute façon, ça n’est pas important car le boomerang lui est revenu en pleine face, et il n’en revenait pas … Loin de moi l’envie de me donner un « beau » rôle, je m’explique !
Des « contestataires » américains (de l’efficacité des statines) de Harvard Medical School avaient été eux-mêmes invités à « débattre » poliment avec Ridker et s’en étaient assez mal « sortis » (selon leur propre témoignage), l’individu est coriace ; et surtout il sait se retrancher habilement derrière les avis des Autorités de Santé (qui ont toutes « validé » l’essai JUPITER) selon la stratégie bien connue du « c’est pas moi, c’est eux qui l’ont fait ! »
Il est en effet très difficile (voire dangereux) pour les gens « bien élevés » (et soucieux de leur carrière) de contester toutes à la fois les études de brillants investigateurs nord-américains (style Ridker) et les Autorités américaines … j’étais donc probablement invité pour avoir le plaisir d’être passé à la moulinette US.
Mais j’avais (en connaissance de cause) élaboré une tactique simple : puisqu’on ne m’accordait que 15 minutes (ridiculement trop court …) pour contester JUPITER et Ridker + 5 minutes de « fruitful discussion » avec l’autre (Ridker), j’ai décidé de consacrer toutes ces 20 minutes à ma présentation ; et je m’en suis rajouté 5 minutes, ce qui au total faisait 25 minutes … et j’ai même un peu « débordé » au grand dam du chairman … Je n’avais pas l’intention de discuter une seconde avec l’autre ; car qui dit discussion dit « recherche de compromis » … et je me refuse désormais à tout compromis avec cet autre ; et aussi TOUS les autres du même acabit !
Et ils le savent !
Mais Ridker ne savait pas et ne s’en doutait même pas, que pouvait-il craindre de ce French « vers de terre » qui osait venir le critiquer sur son propre terrain ?
Tout a bien commencé pour l’autre, très sûr de lui, très avenant, et très courtois notamment quant à la reprise des thèses (contestatrices de JUPITER) que j’avais développées dans un article des Archives of Internal Medicine (journal officiel de l’Association des Médecins Américains, dite AMA) et qui avaient fort déplu … mais quand même publié par l’AMA, ce qui démontre qu’il y a quand même quelques « contestataires » mais anonymes aux USA …
Il déroule de façon très conventionnelle ce qu’il a déjà dit dans plus de 20 articles sur JUPITER dans des revues médicales prestigieuses (New England Journal of Medicine, Lancet, etc), insistant sur des statistiques « absolument incontestables » et des congratulations multiples de toutes origines concernant les extraordinaires résultats de JUPITER … Seule petite « incartade » de la part de ce sieur très policé : le niveau de critique dudit Professeur de Lorgeril ici présent serait pour le moins et selon lui puéril quand on voit le niveau scientifique de JUPITER …
Applaudissements, pas de questions sérieuses, la salle est apparemment satisfaite … Et c’est à moi !
La petite surprise que je lui avais préparée a consisté à ne reprendre aucune de mes critiques précédentes (énumérées dans l’article des Archives et auxquelles il avait répondu, à sa façon, pendant ses 15 minutes à lui), mais à montrer de quelle façon il avait « biaisé » (volontairement ou pas, ce n’est pas la question) les résultats de JUPITER, violé les règles basiques de la recherche clinique et systématiquement présenté ses résultats de façon « déformée » [on dit « spin » en anglais] pour les rendre plus beaux qu’ils n’étaient.
J’ai montré de graves biais statistiques, des « manipulations » des courbes de survie, l’absence totale de confirmation des résultats globaux (et miraculeux) de JUPITER par des études parallèles avec la même statine, la rosuvastatine [ce qui est un argument décisif en recherche médicale], et aussi l’absence de confirmation de certains effets cliniques (également miraculeux mais inattendus) décrits dans JUPITER (prévention des thrombophlébites) et surtout l’ampleur des effets toxiques (induction de diabète) et la façon dont l’autre avait systématiquement minimisé cette gravissime complication par des « astuces » indignes de scientifiques sérieux !
Salle totalement silencieuse, auditeurs de devant (sous mes yeux) d’abord incrédules et souriants puis très attentifs et très sérieux (ça rigolait plus du tout) !
Je dois avouer (c’est mon personnage qui parle …) quelque chose dont je ne suis pas très fier (mais que j’assume) : j’ai totalement manqué au principe de « collégialité » qu’entre scientifiques respectables nous nous devons de respecter (chaque lecteur de ce blog sait pourquoi), et j’ai flirté avec (mais sans atteindre) la grossièreté en disant franchement que je considérais l’autre comme non crédible (« we cannot trust these people« ) ; et les résultats de JUPITER pas plus crédibles que l’autre lui-même et de même que toutes les ridicules congratulations …
Et, à ma grande surprise, j’ai été chaudement applaudi tandis que je quittais la scène sans laisser aucune chance aux deux chairmans et au public de me poser la moindre question ; et ni à l’autre en conséquence de répondre quoique ce soit à l’avalanche de critiques (toutes basées sur ses propres documents publiés) que je venais de lui assener … Du coin de l’œil, je voyais bien qu’il était sidéré, visiblement personne n’avait jamais osé le traiter de la sorte …
Si le Bon Dieu nous observait de là-haut, je ne suis pas sûr qu’il ait été très fier de ma prestation, mais d’une part (toute courtoisie mise à part) je n’avais pas l’intention de passer à la moulinette et d’autre part mon but était (en répondant à cette invitation) d’essayer de participer à la libération de parole qui s’avère indispensable aujourd’hui pour faire avancer les choses ! Car la parole est bloquée, il n’y a plus que du marketing !
L’enseignement de cette péripétie est que nous entrons visiblement, d’un point de vue médical et scientifique, dans une nouvelle période que je qualifierais de « guerre de tranchée » : les pro-statines s’enterrent pour stabiliser le front et laisser pendant ce temps le business continuer à tourner à plein régime ; et les anti-statines, quoique renforcés par de récents succès, n’ont pas assez de force pour remporter la bataille décisive.
Pendant ce temps, des dizaines (voire des centaines) de millions de patients de par le monde s’empoisonnent consciencieusement et inutilement ! Les visiteurs de ce blog en savent quelque chose !

Les visiteurs de ce blog ont aussi compris que le temps d’une recherche courtoise de consensus entre protagonistes n’est plus de mise, il est urgent (pour des raisons humanitaires) de monter à l’assaut ; et il faut maintenant définir quels bataillons seront engagés et aussi le moment propice …
Suite au prochain numéro !
Toutes les réactions (y compris les plus acerbes contre mon personnage et ma capacité à faire du Connelly) sont bienvenues !