QUI CROIRE A PROPOS DES STATINES ET DU CHOLESTEROL ?

La question se pose à nouveau après la publication le 23 Novembre 2011 dans le Lancet d’une étude décrivant les effets d’une statine [efficacité préventive et effets adverses] sur une période de 11 années. L’article est repris dans un Editorial sous le titre [Pouvons-nous enfin être rassurés ?] avec une conclusion très positive : les statines protègent notre cœur et n’ont aucun effet délétère !


QUI CROIRE A PROPOS DES STATINES ET DU CHOLESTEROL ?

Première question : pourquoi étaient-ils si inquiets ? Pourquoi ont-ils tant besoin d’être rassurés ? Les industriels commercialisant ces médicaments n’ont-ils pas publié maints essais cliniques ne laissant aucun doute quand à l’efficacité et la sureté de ces médicaments ?

En fait, comme je l’ai souvent expliqué sur ce Blog, et aussi dans mes livres [et encore dans celui à paraître en décembre 2011], les choses ne sont pas vraiment claires. Pourquoi ?

Pour trois raisons principales :

1) TOUS les essais cliniques testant les médicaments anticholestérol depuis 2005 [et la Nouvelle Règlementation des essais cliniques mise en place après l’épouvantable scandale du Vioxx] ont été négatifs ou grossièrement biaisés, certains montrant une incidence plus élevée de cancers avec le traitement ;

2) des suivis épidémiologiques des populations [notamment en Angleterre, en Suède et en Italie] n’ont pas montré d’effet significatif de la prescription de ces médicaments à des millions de citoyens sur l’incidence des crises cardiaques dans ces sociétés ;

3) de multiples témoignages de médecins et patients [il suffit de parcourir ce blog]  indiquent que contrairement aux dires des industriels, les statines sont plutôt mal tolérées. Cette discordance est tellement évidente que les prescripteurs et les industriels  vivent dans une constante inquiétude [les faits sont têtus !] et ont besoin d’être sans cesse rassurés …

Deuxième question : qu’est-ce qui est rassurant dans cette étude qui suscite les commentaires aussi enthousiastes des Editorialistes du Lancet et des rédacteurs du Figaro ? Deux mots pour décrire l’étude HPS [pour Heart Protection Study] 

Cette étude est le prolongement de l’essai HPS qui avait testé une statine pendant 5 ans mais avant la grande révolution (Nouvelle Règlementation) des essais cliniques de 2005 ! Il s’agit d’un essai commercial [le groupe d’Oxford est en fait une succursale de Merck, le sponsor officieux, voir le Nota Bene], à propos duquel j’ai émis les plus grandes réserves.

Ma principale critique concerne l’opacité des résultats de HPS. Qui peut deviner en lisant les articles d’Oxford que l’essai HPS comportait en fait 4 groupes et un double tirage au sort ? En plus de tester une statine, HPS testait un cocktail d’antioxydants dont les effets sont controversés, certains investigateurs décrivant des effets négatifs, d’autres des effets positifs. C’est un facteur de confusion qu’il faut maîtriser.

Si on s’en tient à la statine, seuls deux groupes d’HPS permettent donc de la comparer avec le placebo. Evidemment la taille de l’échantillon est divisée par deux quand on compare la statine (sans antioxydant) au placebo (sans antioxydant), ce qui réduit considérablement la capacité de l’essai à montrer un effet significatif de la statine ; plus de 5000 patients par groupe quand même.
Si on examine HPS en termes de mortalité, on voit que la réduction du risque de décès par la statine (en incluant les patients avec antioxydants, plus de 20 000 patients) n’est que de 13%, ce qui est dérisoire sur 5 ans.
Pas besoin d’être un grand statisticien pour comprendre qu’en réduisant l’échantillon à 10 000 (incluant seulement les patients sans antioxydant), l’effet de la statine sur la mortalité n’est probablement pas significatif, et HPS prend toutes les apparences d’un essai négatif, ou au mieux douteux.
Patatras !
Or les investigateurs d’Oxford n’ont jamais publié (malgré mes demandes) cette comparaison simplissime de la statine contre le placebo c’est-à-dire en éliminant le facteur de confusion « antioxydants ». Sans prétendre que « qui ne veut pas montrer a quelque chose à cacher » mais sans être assez niais pour ne pas avoir à l’esprit qu’il s’agit d’un essai commercial visant à promouvoir une statine, je reste très suspicieux [peu rassuré !] vis-à-vis d’HPS, une attitude contraire serait peu scientifique !
Que dit cette dernière publication qui serait rassurante ?

Prolongement veut dire qu’après la fin programmée de l’essai, donc hors compétition (et surtout hors-qualité technique requise en sciences médicales), on a continué à suivre les patients pendant 6 ans. Que s’est-il passé ? La proportion de patients prenant une statine dans les ex-groupes statine et placebo s’est égalisée, le cholestérol est absolument identique dans les deux groupes (tableau 3 de l’article, page 2, ligne post-trial) et la fréquence des complications cardiovasculaires est comparable dans les deux groupes.
Des résultats différents auraient fait rire !
Mais, les auteurs de l’article nous rappellent longuement les miracles (suspects, je l’ai dit) observés pendant les 5 premières années de l’essai (in-trial, Figure 2, page 4) conduit en aveugle (statine contre placebo), ce qui ressemble fortement à de l’auto-plagiat puisque tous ces résultats ont déjà été publiés, mais la répétition et le plagiat sont des techniques courantes en marketing.
Ils terminent en nous disant que pendant ces onze années, il n’y a pas eu plus de cancers dans le groupe ayant reçu la statine pendant les 5 premières années.  Ce qui serait selon eux, très rassurant !
En d’autres termes, sur la base d’une étude de 11 ans pendant laquelle les deux groupes ne différaient que pendant 5 ans, nous devons considérer que l’absence de complications pendant les 6 années suivantes démontre que ces médicaments n’ont pas d’effet délétère, au moins en termes de cancers.

Voilà des conclusions bien hâtives déduites d’une base de données bien fragiles : pas d’investigateur indépendant du sponsor, pas d’aveugle (les employés de Merck  sont au courant de tout), haut pourcentage de patients perdus (c’est sans doute là que se trouvent les différences entre groupes, qui sait ?) et aucune information comparative sur les autres facteurs favorisant les cancers … On ne sait même pas si les nombres de fumeurs étaient comparables dans les 2 groupes. Léger, disais-je ! Nul, diraient beaucoup d’autres, moins indulgents …
Bref, aucun scientifique sérieux ne peut valider de telles interprétations ! Les éditeurs du Lancet sont donc fidèle
s à eux-mêmes (légèreté quand tu nous tiens …) et les investigateurs d’Oxford aussi peu crédibles que d’habitude.
Ce qui a contrario renforce terriblement le sentiment de suspicion qui me gagne quand j’examine HPS, parties ou totalité !

La Science d’une part, mais surtout les patients et leurs médecins, méritent mieux que cette mascarade !

Et donc je ne suis pas du tout rassuré !

De même, les Editorialistes du Lancet, et les rédacteurs du Figaro, seraient plus audibles si, en même temps qu’ils rapportaient les exploits d’Oxford [certes, il faut bien remplir les colonnes du journal !], ils avaient aussi décrits les résultats d’une grande étude épidémiologique publiée dans le Journal of the American Geriatric Society (numéro d’Octobre 2011) où il est montré (sans interaction commerciale) que sur un suivi de 14 années, les sujets qui avaient un cholestérol élevé avaient un risque de cancers plus bas : une réduction du risque de cancers de 12% pour chaque mmol/L de cholestérol supplémentaire.

Ce qui suggère qu’il est prioritaire de ne pas abaisser son cholestérol pour ne pas augmenter son risque de cancers !

Alors qui croire ?

Etant donné les antécédents de Merck dans diverses affaires (dont la plus terrible est celle du Vioxx) et le palmarès peu glorieux d’Oxford [pas seulement à propos d’HPS mais aussi des méta-analyses grossièrement biaisées concernant les diabétiques, à titre d’exemple), c’est un peu comme si je vous demandais de croire sur parole l’opérateur qui a commercialisé le Médiator*.

Vous me prendriez pour un niais …

La parole est à la défense !


Nota Bene
 : le journal Libération décrit Merck dans son numéro du 24 Novembre à propos de valises de biftons qu’on distribuerait (dixit) aux experts contactés par la Haute Autorité de Santé et qui aurait le culot de ne pas adorer les produits Merck … 

A propos de l’intégrité du groupe d’Oxford, j’encourage les visiteurs à enquêter via Internet sur les fondateurs du groupe, Richard Doll et Richard Peto. Voir notamment un article de l’Observer en 1996, je crois …
Prendre quelque chose qui inhibe les nausées avant d’entreprendre cette enquête !