DESINFORMATION SUR LA DIETE MEDITERRANEENNE

Certains n’aiment pas la diète méditerranéenne. On ne sait pas pourquoi. Mais pourquoi pas ? D’autres (mais ce sont aussi souvent les mêmes) n’aiment pas non plus l’étude de Lyon ( « Lyon Diet Heart Study ») l’étude ayant permis de démontrer les extraordinaires bienfaits de la diète méditerranéenne. Encore faudrait-il, quand on critique l’une ou l’autre, le faire avec un minimum de discernement, voire d’honnêteté. Serait-ce trop demander à des universitaires ? Une brève histoire concernant un certain « Moulin » pour illustrer ce point particulier. A lire en sirotant son « appéro » juste avant le dîner et pour rire un peu ! Et surtout ne pas penser que je « règle un compte » comme on dit, car j’ai bien conscience du peu de portée (géographique et médiatique) de ce témoignage. Mais pour ceux qui reste dans le doute concernant l’ampleur de la désinformation contemporaine, voilà de quoi donner à réfléchir.

Je vais la faire brève, et uniquement pour le plaisir de dégustation des soupçonneux de la désinformation systématique et du « storytelling ».

Lecteur naïf ou candide, passe ton chemin, ici tu ne trouveras que désillusions et sarcasmes sur les grandeurs académiques !

Quelle ne fut pas ma surprise quand une collègue bordelaise partageant nos thèses nous avertit, ce printemps dernier (2009), qu’un certain Professeur Moulin de la Faculté de Médecine de Lyon (responsabilités hospitalières et universitaires, notamment d’enseignement) fit part dans une revue (Cahiers de Nutrition et de Diététique 2009:44:13-5) de ses profondes réflexions sur les qualités méthodologiques de l’étude de Lyon.
Je ne vais pas répéter ici ces niais propos mais recopier la lettre de « correction » que nous avons demandé aux éditeurs de publier, ce qu’ils firent. En effet, selon l’adage « qui ne dit rien consent », nous étions obligés de réagir, même si nous savions que c’est du temps perdu !

Voici notre réponse :
Dans un récent « Point de vue » qui est aussi une dénonciation fort bien venue des idées reçues et non vérifiées, Philippe Moulin cite la « Lyon Diet Heart Study » (Etude de Lyon) en précisant que cette étude « a souffert de sa durée trop courte puisqu’elle a été interrompue au terme de 18 mois » (1).
Les lecteurs avides de clarté et rigueur auront bien sûr corrigé d’eux-mêmes cette erreur en se reportant aux deux rapports publiés par les investigateurs (2,3).
Pour les autres, rappelons que l’Etude de Lyon a fait l’objet d’une analyse intérimaire (sans interruption de l’essai) après un suivi moyen par patient de 27 mois. Cette analyse a été publiée dans le Lancet en 1994 à la demande du comité scientifique afin de stimuler les recherches sur la nutrition et les maladies cardiovasculaires qui étaient au point mort à l’époque (2). L’analyse finale publiée en 1999 (3) a porté sur la totalité des patients randomisés (sauf trois perdus de vue) et sur un suivi moyen par patient de 46 mois, plus de 60% des patients ayant un suivi supérieur à 5 ans.
Mr Moulin ajoute qu’il n’était pas possible dans cet essai de « faire la part des choses entre une incidence particulièrement élevée des évènements cardiovasculaires dans le groupe témoin et une authentique diminution dans le groupe intervention » (1).
Monsieur Moulin devrait savoir que tout essai clinique se construit sur une hypothèse a priori avec quantifications et calculs : incidence attendue de la pathologie dans la population testée, réduction espérée du risque sous l’effet de l’intervention, calculs de l’échantillon et de la durée de suivi nécessaires pour tester l’hypothèse. Comme indiqué dans le premier rapport de l’Etude de Lyon (2), les investigateurs ont été confrontés assez vite à une difficulté inattendue : la très faible incidence des évènements dans la population étudiée par rapport à ce qui était attendu sur la base de rapports antérieurs. Sans revenir sur la stratégie adoptée, il est textuellement faux de dire qu’il y avait une « incidence particulièrement élevée dans le groupe témoin ». C’était le contraire ! La différence entre les deux groupes de l’Etude de Lyon en termes de pronostic ne peut donc, en toute bonne foi, qu’être attribuée à une diminution radicale des complications cardiovasculaires dans le groupe intervention.
Références 1- Moulin P. Interventions nutritionnelles en prévention cardiovasculaire secondaire : à propos de quelques idées reçues. Cahiers de nutrition et diététique 2009;44 :13-15. 2- de Lorgeril M, Renaud S, Mamelle N, et al. Mediterranean alpha-linolenic acid-rich diet in secondary prevention of coronary heart disease. Lancet 1994;343:1454–9. 3- de Lorgeril M, Salen P, Martin JL, et al. Mediterranean diet, traditional risk factors and the rate of cardiovascular complications after myocardial infarction. Final report of the Lyon Diet Heart Study. Circulation 1999;99:779-85.

Comment peut-on confondre 18 mois et 46 mois ?
La question qui se pose est évidemment est de savoir où Moulin va pêcher ses propres chiffres ! Pourquoi inventer des chiffres qui existent en vrai dans des revues médicales et scientifiques du plus haut niveau.
Répond-il (consciemment ou pas) à la règle « Calomnier, calomnier, il en restera toujours quelque chose » ?
Est-il le poisson pilote de quelque organisation commerciale ou académique ayant l’intention de déformer les faits pour mieux faire passer leurs propres thèses et intérêts ?
Ou enfin, sommes-nous face à un niais ?
Je ne trancherais point, probablement un mélange de tout cela, à doses variables ! A la suite de cette lettre envoyée au dénommé Moulin par les éditeurs (ce qui est normal), celui-ci (toute honte bue, pas l’ombre d’une excuse, alors même que sa prose initiale avait pour but de dénoncer ironiquement les « idées fausses ») fit la réponse suivante :

« Je suis heureux que Michel De Lorgeril ait apprécié notre point de vue qui n’était pas une «dénonciation», mais consistait à attirer l’attention à propos d’idées, souvent préconçues, véhiculées autour de la prévention cardiovasculaire nutritionnelle. Je le remercie d’avoir rectifié l’erreur qui s’est glissée sur la durée de suivi moyen lors de l’article du Lancet à la suite d’une probable confusion avec le suivi minimum.
La question soulevée de l’incidence élevée des événements ischémiques dans le groupe contrôle de la Lyon Diet Heart Study demeure valide. A la même époque, au cours des années 90 en prévention secondaire lors de l’essai 4S l’incidence des infarctus mortels et non mortels dans le groupe placebo se situait à 4.2% ; lors de ACADEMIC elle était à 3.3% et lors de HOPE inférieure à 3.5% soit une moyenne à 3.6 % alors que l’incidence dans l’article princeps du Lancet se situait à 4.8 % pour le même critère de jugement. Elle était donc particulièrement élevée (+37%) dans le groupe contrôle (et cela au pays du « French paradox !») par comparaison à des essais d’intervention similaires conduits à la même époque. Scandinavian Simvastatin Survival Study (4S) Lancet 1994 ;344:1383-1389. HOPE NEJM 2000 ;342 :145-153. ACADEMIC Circulation 2000 ;102 :1755-1766.
 »

On pourrait croire qu’il s’agit de controverses entre spécialistes qui ne peuvent intéresser les lecteurs d’un blog !

Hélas, je ne le pense pas.

Nous avons là au contraire semble t-il une tentative délibérée de tromper les communautés médicale et scientifique : « une erreur se serait glissé … » dans la prose de Moulin. Mais le second argument (l’incidence des maladies cardiovasculaires dans l’étude de Lyon) est tout aussi dégoulinant de faussetés. Une fois, on peut être indulgents, deux fois et sans le moindre remord, cela devient grotesque !
A t-on affaire à un ignorant qui se permet d’avancer des chiffres fantaisistes puis de se rétracter en faisant croire qu’il y a eu « petite méprise » comme si de rien n’était ?
Pas vraiment puisque l’animal s’acharne en réitérant, sous couvert de références à nouveau fantaisistes, des chiffres qui n’ont rien à voir avec l’étude de Lyon, avec à nouveau l’espoir (ou l’intention) de dénigrer les résultats de l’étude de Lyon.

Voici ci-dessous la deuxième réponse que je voulais faire, mais que les éditeurs n’ont évidemment pas acceptée de publier sous prétexte que nous pourrions ennuyer nos lectrices diététiciennes, ce qui n’est pas forcément faux mais permet aux aux ailes du « Moulin » de continuer à tourner, c’est-à-dire à désinformer.

« Une lecture scientifique, et paisible, des essais cliniques cités par
Philippe Moulin me conduit à une interprétation radicalement différente des faits. A titre d’exemple, deux des essais qu’il cite dans sa réponse à ses premiers propos fantaisistes sur l’étude de Lyon (ACADEMIC et HOPE) ne sont en rien comparables à l’étude de Lyon où 100% des patients étaient des survivants d’un récent infarctus du myocarde. Dans ACADEMIC, seulement 38% avaient fait un infarctus (on ne sait même pas s’il était récent) et 52% dans HOPE , avec la même question concernant son caractère récent ou pas.
Le caractère récent d’un infarctus est, comme chacun devrait le savoir, un facteur pronostic majeur. Il est donc sans intérêt de comparer les chiffres de l’étude de Lyon avec ceux d’ACADEMIC ou de HOPE. C’est comme si on assimilait en termes de risque des sujets ayant déjà fait un infarctus avec des sujets n’ayant jamais été malades. Ceci semble échapper à notre Moulin. Quand à l’essai 4S, il est tellement biaisé qu’il faut être bien naïf pour s’en servir encore de référence. Je renvoie les lecteurs à mes livres sur le cholestérol pour une critique détaillée de 4S.
Nous pourrions écrire trois pages sur la non comparabilité des essais cités par Moulin pour essayer de défendre ses allégations antérieures. Mais cela, certainement, ennuierait la majorité de vos lecteurs. Chaque lecteur pourtant, s’il a le courage d’aller relire les articles cités et si il a la culture scientifique et médicale pour le faire, pourra vérifier par lui-même.
 »

Bon, je m’arrête ici avec l’affaire Moulin. Les lecteurs pressés sauteront quelques lignes, les autres s’amuseront un peu en lisant tout !

Toutefois, au-delà des ricanements, chacun de nous saura saisir le tragique de cette anecdote.

Moulin n’est pas un cas isolé. Il est le représentant d’une sorte de congrégation qui a notre santé en charge, et aussi l’enseignement des futurs médecins !
On n’est donc pas sorti de l’auberge, pour parler vulgairement !

Ce n’est pas seulement notre présent qui est dans de mauvaises mains, c’est aussi l’avenir !

Que faudra t-il pour « renverser » cette sinistre nomenklatura ?