Flavonoïdes et maladies cardiovasculaires

Les flavonoïdes sont des substances naturelles (il y en a des milliers de sortes dans la nature) caractérisées par la présence d’une structure phénolique (ce sont donc des poly-phénols) dans leur molécule, et même d’une structure flavone ce qui les distingue des autres polyphénols. Question : ont-ils des propriétés leur conférant des effets protecteurs du système cardiovasculaire ?

Les polyphénols et les flavonoïdes sont, pour un chercheur en sciences de la nutrition, le sujet émergent aujourd’hui et pour les années à venir.
Comme cette catégorie de composants des aliments (sans valeur énergétique) comporte des milliers de molécules, ce n’est pas avec un billet dans un blog que nous pouvons faire le tour de la question.
Notre laboratoire à Grenoble travaille intensément sur cette question depuis 4 ans dans le cadre d’un contrat Européen appelé FLORA.
Cela signifie que nous sommes membres d’un consortium de laboratoires de recherche européens (anglais, allemand, italien, français, turc, …) financés par la Communauté Européenne, pour 4 ans et quelques mois.
L’objectif de l’Europe est de faire émerger de nouvelles connaissances sur les effets des polyphénols sur la santé. Notre consortium s’est concentré sur l’étude de certains flavonoïdes, ce qui explique le F dans l’appellation FLORA du consortium.
Plutôt que de faire une revue générale de mauvaise qualité, je vais raconter en quelques mots l’expérience acquise par notre laboratoire au cours des dernières années. A Grenoble, notre travail s’est axé sur les effets de certains anthocyanidines dont les noms sont compliqués mais que l’on retrouve (pour faire simple) dans certains aliments consommés de façon régulière par les européens, comme par exemple les oranges, le raisin, et bien entendu le vin.
Nous avons estimé (il y a 4 ans quand nous avons conçu notre projet) qu’il était prématuré de travailler sur des humains et qu’il fallait un peu débrouiller le terrain avant de faire une recherche clinique. C’est pourquoi nous avons surtout travaillé sur le rat. Il est aisé de comprendre que des expériences sur le rat sont beaucoup plus faciles à réaliser : le rat est dans une cage et mange ce qu’on lui donne à manger, et rien d’autres !
Cela facilite considérablement les expériences, mais le revers de la médaille c’est que rien de ce qui est trouvé chez le rat ne peut être extrapolé aux humains : nous ne sommes pas des « gros rats » !
C’est d’ailleurs une des grandes difficultés de la recherche en sciences de la vie aujourd’hui : trop de chercheurs « en sciences fondamentales » (pour faire court, ceux qui travaillent sur l’animal ou avec du matériel dans des tubes à essai) veulent faire dire à leurs observations plus qu’elles ne peuvent dire.
Le consortium FLORA a été constitué avec des chercheurs qui ont une parfaite conscience de cela, et nous espérons tous que dans une prochaine étape nous pourrons vérifier chez des humains ce que nous avons observé sur le rat.

QU’AVONS-NOUS TROUVE ?

Beaucoup plus que prévu.
Tout d’abord, nous avons exploré sur un modèle expérimental d’infarctus du myocarde si des rats consommant des anthocyanidines avaient un myocarde plus résistant au manque d’oxygène provoqué par l’occlusion d’une artère coronaire.
Les anthocyanidines étaient apportées dans la nourriture quotidienne des rats simplement en substituant au maïs jaune classique un maïs noir (on dit « aztèque » parfois) très riche en anthocyanidines. Ainsi, puisque les deux maïs avaient par ailleurs exactement la même composition génétique et chimique, la seule chose qui différait entre la nourriture des rats « maïs jaune » et des rats « maïs noir » c’était les anthocyanidines.
En conséquence si on observait une différence, biologique ou physiologique, entre les deux groupes de rats elle ne pouvait être attribuée qu’aux anthocyanidines.
Les deux types de maïs nous ont été fournis par un laboratoire de génétique des plantes italien membre du consortium FLORA.
Nous avons évidemment vérifié si les anthocyanidines du maïs noir se retrouvaient bien dans la nourriture des rats, puis qu’ils étaient bien absorbés par les rats et quantifiables dans le sang et les urines des rats.
Ce travail de biologie très complexe (très peu de laboratoire de biochimie sont capables de doser ces composés car cela nécessite une instrumentation complexe et couteuse) a été réalisé par un laboratoire allemand et un laboratoire italien. Cela illustre l’importance de la coopération internationale dans la recherche de haut niveau.
C’était en fait la première fois qu’une équipe de cardiologie expérimentale expérimentée pouvait tester notre hypothèse avec toutes les garanties de qualité technique !
Effectivement, la consommation d’anthocyanidines a modifié la biologie du myocarde de nos rats.
Quand nous avons provoqué l’infarctus (je ne rentre pas dans les détails techniques), le myocarde s’est montré plus résistant : ce qui signifie que la quantité de tissu cardiaque détruite par le manque d’oxygène était notablement réduite dans le groupe recevant les anthocyanidines.
Pourquoi est-ce un résultat important ?
Parce que le pronostic d’un infarctus est directement lié à cette capacité du myocarde à résister au manque d’oxygène. Depuis 40 ans, c’est une obsession de l’industrie pharmaceutique de découvrir la molécule miracle (donc le médicament) qui permettrait d’induire cette capacité de résistance au myocarde. Et il n’y eut que des échecs ! Ils n’ont jamais trouvé une molécule vraiment efficace !
Il y a eu qu’une seule exception à ces échecs, et notre équipe à Grenoble a joué un role majeur dans cette découverte, c’est la consommation modérée d’éthanol : consommer un peu d’alcool induit un état de résistance du myocarde au manque d’oxygène !
C’est probablement ce qui explique pourquoi la mortalité cardiovasculaire est diminuée chez les consommateurs modérés d’alcool !
Il y a peut-être d’autres explications, mais celle-ci semble solide.
Une autre explication pourrait venir des anthocyanidines puisque certaines boissons alcoolisées (le vin) contiennent des anthocyanidines ! Mais la consommation de tous les alcools, même ceux qui ne contiennent pas d’anthocyanidines (ou d’autres polypénols) modifient le myocarde de façon favorable.
Il y a toutefois une limitation à cette protection, au moins dans nos modèles expérimentaux : si il y a de l’éthanol en circulation dans le sang au moment du manque d’oxygène (au moment de l’infarctus), il n’y a pas protection ! la consommation d’alcool induit donc une sorte de « préconditionnement du myocarde« . C’est le mot barbare que l’on a inventé pour décrire ce phénomène.

Avec les anthocyanidines, nous avons donc découvert une deuxième classe de substances naturelles capables d’induire un « préconditionnement myocardique » !
Il y a de quoi énerver les industriels du médicament : tant d’efforts de recherche pour rien alors que le trésor se trouve dans le jardin !
C’est une découverte importante car les anthocyanidines sont des substances naturelles, présentes dans de nombreux fruits ou légumes et, jusqu’à preuve du contraire, et contrairement à l’éthanol, n’ont aucun effet nocif ou toxique.
Ce sont des constituants majeurs du vin (dont on connaît les bienfaits pour la santé) et aussi de la diète méditerranéenne en général, y compris en l’absence de vin !
Nous avons trouvé d’autres choses importantes au cours de ces 4 années à propos des flavonoïdes, mais je le raconterai dans un autre billet pour ne pas rendre celui-ci trop long et finalement imbuvable !

A BIENTÔT