Où EN EST L'EXPERTISE MEDICALE ET SCIENTIFIQUE AUJOURD'HUI ?

Si un spectacle navrant nous est donné à voir ces jours-ci, c’est bien celui de la déconfiture de l’expertise, et pas seulement chez les banquiers et autres prestigieux économistes …

On peut dire aujourd’hui que le paysage (en France en particulier, mais ailleurs aussi) de l’expertise médicale et scientifique est affligeant, le système est sévèrement biaisé – il est d’ailleurs dénoncé à longueur d’éditoriaux dans la presse spécialisée anglo-saxonne, mais pas dans la française qui est bien assoupie – et a perdu toute crédibilité auprès du public comme on a pu le constater à propos de la vaccination antigrippale.

Cela concerne aussi bien l’expertise précédant la mise sur le marché des médicaments que l’après-commercialisation – ce que l’on appelle la pharmacovigilance – qui a été systématiquement prise en défaut ces dernières années, les exemples en sont nombreux !
On est en France à cet égard d’une désarmante naïveté alors qu’aux USA l’industrie pharmaceutique a été, à maintes reprises ces dernières années, lourdement condamnée par les tribunaux.
Même la Food and Drug Administration (FDA pour les intimes), une des plus hautes Autorité Sanitaires des USA, a été prise l’année dernière dans le tourbillon des limogeages et mises en examen de ses plus hauts dirigeants.

A qui peut-on se fier aujourd’hui ?

Pour essayer de rétablir la confiance, notamment après les épouvantables scandales du Vioxx* et du Cerebrex*, on a mis en place de nouvelles règlementations – dont le non-respect est passible de lourdes amendes et condamnations – visant à réformer les relations entre investigateurs, experts, médecins, et industrie.
Cette nouvelle règlementation est à la fois une réponse (supposée efficace) au problème et la démonstration de l’existence de ce problème, pour ceux qui en douteraient encore.
D’où vient le problème de la faillite de l’expertise médicale et scientifique ?

Ses origines ne sont probablement pas différentes de celles qui génèrent l’actuelle crise de l’économie marchande en général dans nos pays.
Qu’est-ce à dire ? A titre d’exemple rabâché par les experts : depuis les années 90 du siècle dernier environ, les techniciens et ingénieurs ont perdu tout pouvoir dans les entreprises au profit des services marketing et financier.
Le profit passe avant la qualité et la sécurité. C’est une banalité de le rappeler – comme Toyota et d’autres affaires industrielles viennent de le montrer – mais c’est vrai aussi pour l’industrie pharmaceutique. Bien sûr, un médecin observera vite si un antibiotique est efficace ou pas – et l’abandonnera ou pas – mais ce n’est pas le cas pour un médicament administré sur le long terme dans le but de prévenir une maladie chronique, comme les statines anti-cholestérol ou les médicaments anti-hypertension pour prévenir l’infarctus du myocarde.
Beaucoup de temps passera avant que l’on comprenne non seulement que l’expertise initiale n’était pas correcte mais aussi que ces médicaments sont potentiellement toxiques.
 L’expertise est donc devenue une sorte de mise en scène comme l’a montré – très récemment encore – la déplorable affaire du médicament anti-obésité Accomplia*.
On commercialise désormais le médicament selon des procédures à peu près équivalentes à celles d’une lessive tout en donnant les apparences d’une expertise sérieuse.
J’ai personnellement beaucoup collaboré autrefois avec l’industrie pharmaceutique. Mais j’ai abandonné toute relation professionnelle avec le commerce des médicaments le jour où j’ai subi des pressions pour me dissuader de publier des résultats de recherche qui n’allaient pas dans le sens des intérêts de mon partenaire industriel. Désormais, je ne travaille plus qu’avec des financements européens.

De façon descriptive et simpliste, on peut distinguer deux grands cas de figure. Soit c’est le supposé expert qui cherche un financement auprès de l’industrie parce qu’il a une idée ou un brevet à valoriser et il peut garder, au moins à court terme, une relative indépendance. Soit c’est l’industriel qui sollicite l’expert parce que il est connu ou détient une position de pouvoir (par exemple hospitalo-universitaire) mais sans être forcément expert de cette question, et dès lors il est instrumentalisé pour propager des idées qui ne sont pas les siennes.
L’objectif de l’industriel étant – en toute bonne foi et honnêteté d’ailleurs – de vendre un produit et générer des profits, l’expert devient, sans en avoir forcément conscience, le porte-parole d’une firme.
Pour être au-dessus de tout soupçon, et rompre avec ce système totalement dépassé, l’expertise devrait faire appel à des personnes totalement libres et indépendantes du monde industriel et commercial.
Je ne dis là rien d’original et ne fais que répéter ce qu’on peut lire sur les sites Internet consacrés à ce sujet, notamment aux USA.
Il faut maîtriser la subjectivité de l’expert certes – et c’est primordial – mais aussi empêcher les conflits d’intérêt de prendre le pas sur les intérêts bien compris des médecins et surtout de leurs patients.
Il faut évidemment distinguer l’expertise qui vise à donner un avis (une opinion) sur un produit à partir d’une pratique, par exemple médicale, ou d’une technique, et qui n’est pas une expertise au sens propre.
Par contre, celle qui évalue quantitativement une innovation réelle et nécessite une étude, un protocole, et des essais cliniques – qui doivent être conformes à des standards avec au minimum un tirage au sort et du double aveugle – est une véritable expertise, et c’est celle-là qui doit être parfaitement encadrée, ce qui est loin d’être le cas actuellement.

Qui va être expert pour collecter les résultats, faire des statistiques et rédiger des rapports qui feront loi ?
On ne doit pas faire appel à des amateurs au sens large, au volontariat et encore moins au bénévolat. On peut consulter des sites internet comme les bibliothèques des Facultés de Médecine américaine par exemple qui permettent d’évaluer la compétence technique, le parcours et l’expérience réels d’un expert potentiel – le nombre et la qualité des articles qu’il a publiés – et ce n’est surtout pas l’industriel qui choisit ses experts.
Je suis toujours très amusé de devoir débattre – par exemple de la question du cholestérol et des médicaments anti-cholestérol – avec des gens qui n’ont jamais travaillé sur ce sujet mais parce qu’ils dirigent un département ou une unité hospitalière parisienne, se sont naïvement attribués une expertise ; il s’ensuit un dialogue de sourds car cette faible expertise ne tient finalement qu’à l’information qui a été prodiguée à ces pseudo-experts par des industriels très intéressés. On frise le ridicule bien souvent.

Y a-t-il des solutions ?

La situation actuelle est déplorable, voire honteuse ; et les scandales et affaires se succèdent sans interruption, et jusque dans les tribunaux.
La perte de crédibilité est manifeste comme l’a montré l’attitude du public vis-à-vis de la vaccination antigrippale.
Si on me demandait mon avis, je préconiserais le recours aux chercheurs salariés de l’état (de l’INSERM et du CNRS), qui pourraient constituer un vivier potentiel d’experts indépendants.
Mais évidemment, il faudrait les surveiller étroitement et ne jamais recourir aux mêmes experts de façon répétitive – source de sorte de délit d’initiés – c’est-à-dire, en fait, suivre à peu près les procédures déjà appliquées par la Communauté Européenne quand elle commandite des expertises sérieuses.