La dépression, et la triste désespérance, du Professeur Ioannidis

 
John Ioannidis est professeur à la Faculté de Médecine de Stanford en Californie.
Il est réputé ; et à juste raison ! Mais il m’inquiète…
Je l’aime bien ; c’est un type sympa et il raisonne bien en général ; même s’il n’a pas encore complètement réussi son total affranchissement de l’académisme dogmatique qui pollue les sciences médicales contemporaines.
Par exemple, il semble encore croire que les vaccins sauvent le monde et à peu de frais ; ce que je croyais moi-même aussi il y a encore peu… Chacun doit faire son chemin…
Mais John est jeune (tout juste 50 ans) et, à son âge (en l’an 2000), j’étais moi-même terriblement naïf ; je croyais à tout ce qu’on me disait dans les publications scientifiques ; et je ne prenais pas encore la peine de TOUT lire ; et même entre les lignes. Bref, John va encore progresser, une bonne marge de progression, disent les journalistes sportifs dont j’adooooore la littérature. Mais John m’inquiète…
Il est médecin comme moi et, comme moi au CNRS, sa spécialité en tant que scientifique c’est la méthodologie en recherche médicale, un mélange d’épidémiologie, de statistiques ; et aussi de… « bon sens ».
Nous faisons de notre mieux pour examiner, et éventuellement valider, les études et travaux scientifiques et médicaux qui nous passent devant les yeux. Mais John m’inquiète…
Les « capacités » en statistiques ne sont pas rares dans les sciences médicales de nos jours ; ce qui n’est pas le cas du simple « bon sens » ; et encore moins de l’indépendance, chose qui ne se négocie pas !
John Ioannidis s’est rendu célèbre en 2005 en publiant un article expliquant pourquoi (et comment) la majorité des publications dites scientifiques en médecine ne valent rien, exactement rien, et pour des raisons simplement méthodologiques : manque de respect des règles basiques de la méthode scientifique par les auteurs et investigateurs !
Pas forcément des tricheurs ; surtout des ignorants, un peu naïfs, mais surtout très dépendants du business et du marketing… dans ce monde-là, on ne fait pas de la recherche médicale pour la beauté de ce qu’elle est (et c’est beau !) mais pour faire ou favoriser le business ; et donc entretenir toutes les formes de cupidité ; et généralement, on ne s’en cache pas ; on en est très fier ! « Ouais, monsieur, je travaille avec et pour l’industrie ; j’ai pas honte ; et je veux un retour sur mes investissements personnels ; je veux ce qu’on me doit… »
John et moi avons compris ça en même temps autour de 2005. Mais John m’inquiète…
Pourquoi ?
Il vient de publier dans un grand journal d’épidémiologie clinique [partout les portes sont grandes ouvertes pour John…] un article de confession que je qualifierais de « terrible » tant il détruit les dernières illusions qu’on pourrait avoir sur le mode de fonctionnement actuel de la recherche médicale.
Rien que le titre : « Evidence-based medicine has been hijacked »
Je traduis : « La médecine scientifique a été détournée » ; dans le sens où un avion est « détourné » ; on pourrait dire aussi « kidnappée » ou « piratée » ou encore « confisquée » ; j’espère être compris.
C’est là, c’est gratuit (en pdf) en totalité mais c’est en anglais :
http://www.jclinepi.com/article/S0895-4356%2816%2900147-5/abstract
Je ne vais pas traduire tout l’article qui, à mon sens, traduit surtout un état plutôt dépressif, voire désespéré de mon ami. John m’inquiète…
Que dit-il en résumé ?
1- Les essais cliniques sont construits et conduits dans l’intérêt de l’industrie ;
2- Les analyses de synthèse (les fameuses méta-analyses) sont conduites dans l’intérêt de l’industrie ;
3- Les fonds (les contrats de recherche) nationaux et fédéraux (on est aux USA) sont essentiellement destinés à la recherche expérimentale et pas à la recherche en santé ;
4- Les « meilleurs investigateurs » [là il est très ironique] sécrétés par le système ne sont pas des chercheurs ou des scientifiques doués pour ce travail mais essentiellement des managers chargés de collecter des fonds de recherche pour leurs institutions respectives. Si je mets mon grain de sel ici, ce qu’il veut dire c’est qu’il vaut mieux avoir fait Science-éco ou une des prestigieuse Écoles de Commerce pour prétendre diriger des programmes de recherche prétendument médicale ;
5- Les recherches en thérapie humaine ont été au cours des dernières décennies une suite ininterrompue de miracles avortés ; à quelques exceptions près (c’est mon petit grain de sel) ;
6- L’épidémiologie clinique [mon grain de sel : sur laquelle beaucoup d’avis et recommandations dites officielles sont basés] est un véritable carnaval dont on ne peut tirer généralement aucune conclusion solide ou sérieuse en médecine humaine ;
7- Sous la pression des marchés [mon grain de sel : « la main invisible »], la médecine clinique est devenue une médecine de business ;
8- Dans de multiples circonstances, les politiques de santé et la médecine clinique gaspillent des ressources (financières et humaines) qui seraient beaucoup mieux employées si la priorité était à l’humanisme et pas au business ;
9- Dans de multiples circonstances, la médecine clinique est devenue une menace pour les bien-portants plutôt qu’un secours pour les patients ;
10- Le déni des autorités, des médias et des citoyens face à ces évidences est presque total actuellement ; et tout est fait pour empêcher la prise de conscience.
Je vous l’ai dit, John m’inquiète : est-il au bord du suicide ?
Sa clairvoyance est totale à mon avis. Bien sûr, on peut trouver des motifs de satisfaction et d’espoir. La médecine et la chirurgie d’urgence ont fait des progrès considérables ; et il y a quelques nouveaux médicaments intéressants.
Mais son pessimisme épouvantable vient de la discordance entre l’énormité des moyens [l’industrie de la Santé, de façon générale, représente aujourd’hui presque 18% du PIB des USA, autour de 14% en France] et la maigreur des résultats obtenus.
Certains le discuteront ; et diront que tout va bien ; c’est le point numéro 10 de John…
« Tout va très bien, Madame la marquise… »
C’est là : https://www.youtube.com/watch?v=jGQaz8bfoqE