Où sont passés les 10 000 décès dus aux arrêts de statines ?

 
Juillet 2016, on annonce dans les médias – en parallèle à un article dans une revue médicale [les Archives of cardiovascular disease] que les polémiques et discussions à propos des statines (leur possible efficacité pour se protéger des maladies cardiovasculaires et leur toxicité) faisaient courir de graves dangers aux populations. J’en ai déjà parlé dans un message précédent ; il vaut la peine d’y revenir un petit peu.
Selon ces investigateurs, ces controverses sur les statines avaient entrainé une augmentation de 50% des arrêts de traitement en 2013, et en conséquence (selon eux) une augmentation de la mortalité dans leur échantillon : un total d’environ 80 décès supplémentaires par rapport aux années précédentes 2012 et 2011.
Si ces données sont extrapolées à l’ensemble de la population française, les arrêts des statines pouvaient représenter, selon les auteurs, entre 10 000 et 11 000 décès supplémentaires sur environ 9 mois de l’année 2013.
Il est bien facile pourtant d’aller vérifier les vrais chiffres de mortalité en France pour l’année 2013 puisqu’ils ont été publiés par l’INSEE après validation par l’INSERM en Août 2016. Les chiffres réels (et non pas ceux d’extrapolation et de calculs hautement discutables) sont désormais disponibles ; et résumés (simplifiés) dans le tableau ci-dessous :

On observe (au-delà des petites fluctuations annuelles) que le nombre total de décès augmente régulièrement entre 2009 et 2013 ; ce qui n’est pas inattendu dans une population qui augmente et vieillit de façon assez régulière. On ne note toutefois aucune augmentation en 2013 et même une tendance à casser la courbe de progression ; laissant penser que la tragédie sanitaire espérée par les défenseurs des statines n’a pas eu lieu.
Les nombres de décès dus à des tumeurs sont stables mais on note une légère diminution de la mortalité cardiovasculaire totale en 2013 par rapport à 2012 ou par rapport à la moyenne de 4 années précédentes (141 500 contre 138 900 en 2013). La mortalité cérébrovasculaire semble stable au cours des 5 années observées confirmant l’absence de surmortalité en 2013.
Finalement, le nombre d’infarctus mortels – et c’est là essentiellement qu’on aurait dû voir les 10 000 décès supplémentaires puisque selon les défenseurs des statines, ces médicaments protègent surtout des attaques cardiaques – n’a pas augmenté en 2013.
Mieux, il apparait qu’il y ait eu moins d’infarctus mortels non seulement par rapport à 2012 (comme le montre le tableau) mais aussi par rapport à la moyenne des 4 années précédentes (35 200) comme si les arrêts des traitements par statines avaient sauvé des vies : 1200 vies sauvées en 2013 par rapport à 2012 et 1800 vies sauvées par rapport à la moyenne des années 2009 à 2012.
Si on considère que les chiffres de l’Assurance-Maladie concernant les arrêts de statines en 2013 [12% contre environ 8% dans les années précédentes ; donc une augmentation non négligeable de 50%] sont réalistes et qu’avec beaucoup de courtoisie (pourquoi pas ?) on suit la ligne de raisonnement – mettant en relation ces arrêts de traitement avec la mortalité en 2013 – force est de constater que les arrêts de statine (ou les déprescriptions) n’ont pas eu les effets négatifs attendus (espérés ?) par les défenseurs des statines.
Errare Humanum est !
Face à de telles erreurs – source de grand angoisse et de souffrance pour la population concernée et surtout d’inadmissible chantage à la peur pour tous ceux, patients et médecins, qui sont dans l’interrogation vis-à-vis de l’utilité et de la toxicité de ces médicaments – il est urgent de comprendre ces erreurs.
Si, par exemple, on restait avec des illusions et notamment avec l’idée persistante que les essais commerciaux des années 1990 avaient une valeur scientifique, il faut se rappeler que même dans les essais cliniques montrant un effet (supposé) des statines sur la mortalité (essais 4S et LIPID par exemple), cet effet n’était visible qu’après 2 ou 3 années de traitement [on peut voir des images à la date du 3 Août 2016 sur ce blog]. Il y avait donc peu de chance de voir une augmentation de la mortalité en 2013 à la suite des arrêts de traitement survenus dans les semaines et mois précédents mais dans la même année 2013.
Cela dit, la question de savoir si les arrêts de traitement pourraient avoir eu des effets bénéfiques, c’est-à-dire sauvé des vies, est une question très différente qui mérite d’être examinée soigneusement ; d’autant que les données de mortalité réelle discutées ci-dessus suggèrent fortement cet effet bénéfique, voire salvateur.
Pourquoi ?
Prescrire (et attendre qu’un traitement exerce ses effets éventuels bénéfiques) et déprescrire (arrêter un médicament) sont deux choses très différentes. L’exemple des statines est évocateur. On peut penser en effet que les patients qui arrêtent leur statine en 2013 sous l’influence de la controverse (c’est le contexte proposé par les défenseurs de statines) ont aussi compris que modifier son mode de vie était probablement plus efficace et moins dangereux que prendre des médicaments. Par exemple, certains ont sans doute compris que l’exercice physique (de léger à modéré) était protecteur notamment contre l’infarctus et les complications souvent fatales de l’infarctus.
Considérant que les statines provoquent des douleurs musculaires, de la fatigue générale, du diabète et des insomnies (les deux derniers augmentant encore la fatigue), il est évident que l’arrêt des statines va aider un nombre significatif de patients à reprendre un exercice physique salvateur. A l’échelle des 7 millions de consommateurs de statines en France, il n’est pas absurde de penser que ce mécanisme ait pu jouer un rôle dans l’économie des 1200 ou 1800 vies sauvées en 2013.
Certains patients peuvent aussi se dire qu’en même temps qu’ils arrêtent leur statine, ils pourraient enfin essayer d’améliorer leurs habitudes alimentaires. Sachant qu’un déficit en oméga-3 augmente le risque d’arythmies malignes et de mort subite et que les statines contribuent à aggraver les déficits en oméga-3, il est fort possible que certains patients aient corrigé leur déficit en oméga-3 en remplaçant très simplement chaque semaine un plat de viande par un plat de poisson gras.
D’autres patients, ou les mêmes, peuvent aussi avoir compris que finalement les statines ne protègent pas des complications du tabac et qu’ils aient enfin pris la décision de stopper le tabac en même temps qu’ils stoppaient la statine.
Le tabac est un puissant vasoconstricteur et stimulent la réactivité plaquettaire ; et donc la tendance à faire des caillots dans les artères ; et ces effets sont visibles dans les minutes qui suivent l’inhalation de la nicotine. Autrement dit, les effets bénéfiques de l’arrêt du tabac (concomitants de l’arrêt de la statine) sont presque immédiats.
Tous ces mécanismes salvateurs associés à l’arrêt des statines peuvent expliquer qu’au moment des controverses sur les statines on puisse effectivement observer une diminution de la mortalité par infarctus du myocarde.
Ces vies sauvées seraient dues à l’arrêt de l’exposition à des médicaments inutiles et toxiques ; et  aussi à la prise de conscience que c’est le mode de vie qui est responsable des décès cardiaques et pas le cholestérol.
C’est donc le mode de vie qu’il fait modifier pour se protéger ; et la prise de statines [et la prescription de statines) contribue à persister dans un mode de vie dangereux !
Pour conclure, et restant en droite ligne de ce que l’histoire des sciences nous a appris, les controverses scientifiques, y compris en médecine, sont toujours utiles ; elles sont toujours source de progrès et d’amélioration des connaissances. Vouloir les empêcher sous des prétextes futiles, faussement éthiques et essentiellement commerciaux, est immoral et déshonorant pour ceux qui se prêtent à ce genre de manœuvres.
Il faut encourager les controverses scientifiques (éventuellement y participer) et il est impératif de protéger ceux qui, lanceurs d’alerte ou autres, en sont les initiateurs.
Telle est la leçon à tirer des controverses sur les statines.