Anévrysme de l’aorte abdominal, cholestérol et statines

C’est un réflexe conditionné chez beaucoup de mes collègues : pathologie artérielle = cholestérol = statines !

C’est stupide, mais c’est comme ça ! Et c’est comme ça au plus haut niveau académique !

Ils ne comprennent pas les anévrysmes, pas le cholestérol et pas non plus les médicaments anticholestérol.

L’anévrysme de l’aorte abdominale (AAA) est une pathologie artérielle qui n’a rien à voir avec l’athérosclérose.

La dilatation (l’anévrysme) de la partie basse de l’aorte traduit une faiblesse de la paroi de cette artère (c’est le cas d’autres artères) et ça n’a rien à voir avec l’athérosclérose.

Cette pathologie AAA n’est pas si rare et elle peut se compliquer : embolies dans les artères des membres inférieurs (car l’anévrysme peut se remplir de thrombus qui ne demandent qu’à voyager) et surtout rupture de l’anévrysme. Cette dernière complication est très dangereuse ; il faut opérer avant la rupture !

Tant de dossiers médicaux surchargés où les médecins mesurent et remesurent le diamètre de l’AAA (ce n’est pas absurde !) et essaient de freiner l’évolution de l’AAA vers la rupture avec des médicaments anticholestérol, ce qui n’a pas de sens !

Sincèrement, les collègues (d’ici et d’ailleurs) ont des excuses : les données scientifiques sur les AAA sont pauvres. En particulier, il y a peu d’études épidémiologiques bien faites permettant d’identifier les facteurs de risque d’AAA.

Comme les épidémiologistes sont persuadés que le cholestérol est méchant, ils organisent leurs analyses de façon à montrer que le cholestérol est un facteur de risque d’AAA. Et évidemment ils n’y parviennent pas. Ce qui donne des études sans association significative entre le cholestérol et le risque d’AAA et des investigateurs qui pourtant répètent que les dyslipidémies sont un facteur de risque d’AAA.

Toutefois, dans quelques études j’avais de mon côté repéré qu’au contraire de ce qu’ils attendaient, on percevait plutôt que c’était un cholestérol bas qui était associé au risque d’AAA. Mais ça n’était pas repris par les auteurs dans leurs conclusions de peur qu’un tel « barbarisme » puisse empêcher la publication de leur étude.
Un autre problème dans ce type d’étude est que beaucoup des patients avec un AAA sont sous statine [diabétiques, hypertendus, fumeurs…] avec un cholestérol mesuré non représentatif de leur niveau réel de cholestérol.

J’ai eu aussi des dossiers de patients avec AAA (avant ou après chirurgie) qui à l’évidence n’avaient pas un cholestérol élevé ; et même plutôt bas ; me faisant penser qu’il valait mieux éviter les médicaments anticholestérol dans la prévention de l’AAA et des ses complications, notamment la progression vers la rupture.

D’autant plus que des données expérimentales (mal comprises par les auteurs eux-mêmes) me laissaient penser que toute altération du métabolisme du cholestérol pouvait fragiliser la paroi des artères (favoriser l’anévrysme) ; sans rapport aucun avec l’athérosclérose.

Une étude récente publiée dans le journal officiel de l’American Heart Association [Circulation. 2020;142:00–00. DOI: 10.1161/CIRCULATIONAHA.120.047544] apporte des informations décisives sur cette question.

C’est une étude gigantesque [The Million Veteran Program testing] visant à corréler des tests génétiques avec diverses pathologies.

Dans cette étude, ils ont pu réunir 7642 cas d’AAA comparés à 172 172 contrôles sans AAA et tous d’origine Européenne. Gigantesque donc !

De plus, les auteurs n’ont pas pour objectif d’analyser la relation entre cholestérol et risque d’AAA. Leur objectif principal est d’identifier des profils génétiques à risque d’AAA. L’observation d’éventuelles associations entre AAA et divers facteurs biologiques ou de mode de vie (tabac par exemple) n’est pas leur principal objectif. C’est important car ils ne mentionnent ces associations que de façon anecdotique et sans chercher à les masquer.

Je laisse de côté leurs analyses génétiques pour me concentrer sur les différences cliniques et épidémiologiques significatives entre les cas d’AAA et les contrôles.
C’est le tableau ci-dessous extrait de l’article américain.

Il apparaît qu’être un homme, plutôt âgé, diabétique et fumeur constituent des facteurs de risque d’AAA.

La surprise [mais pas pour moi, en toute humilité…] c’est que la prescription de statines est associée au risque d’AAA.

C’est un aspect majeur que les auteurs mentionnent dans leurs résultats (le tableau ci-dessus avec les mentions que j’ai surlignées] mais qu’ils oublient ensuite, comme si ça n’avait aucune importance. C’est le seul type de médicaments qui soit associé au risque d’AAA.

On pourrait conclure [ce que je ne ferai pas] que la prise de statine augmente le risque de développer un AAA. Peut-être ! Pas sûr !

Les auteurs, quand à eux (quoique discrètement dans leur discussion) suggèrent que la relation entre cholestérol et risque d’AAA est plus compliquée qu’une simple corrélation positive du type : plus le cholestérol est élevé et plus le risque d’AAA augmente. Je suis d’accord avec eux !

De cette belle étude, on peut toutefois conclure que :
Les statines ne sont d’aucune utilité pour la prévention de l’AAA !

C’est une information très importante ; et j’invite chaque visiteur de ce blog à la diffuser vers les médecins.