COVID-19 et chloroquine, pourquoi tant de hargne ?
J’ai d’abord publié cet article sur le site de l’AIMSIB ; en m’attendant au pire…
J’ai eu le pire ; je n’ai même pas envie de répondre !
Quelques courageux collègues le font à ma place ; je les en remercie. Moi je m’avoue vaincu : un peu comme en 1940… Finalement on a ce qu’on mérite.
Dans une société dérivante au gré des flots, bien peu comprennent dans quel sens va le courant ; et la majorité se laisse emporter fièrement vers les cataractes nauséabondes de la bienpensance, se croyant bons nageurs…
A penser comme ses maîtres, on en est l’esclave ; et l’esclave aime ses chaînes ; ce n’est pas moi qui l’a dit !
Bref, je mets ce texte aussi sur le blog, car certains fréquentent l’un mais pas l’autre ; en priant ceux qui se sont exprimés sur le site de l’AIMSIB de bien vouloir s’abstenir ici…
Ça commençait comme ça : Tout professionnel de la recherche médicale, avec un minimum d’orientation clinique, ne peut qu’être fasciné par la querelle hargneuse dans les médias – et probablement aussi dans les salons feutrés des administrations sanitaires désemparées – à propos du médicament hydroxychloroquine contre COVID-19.
Les uns le prétendent efficace mais on ne sait pas vraiment pour qui, comment et à quel autre médicament (antibiotique ?) il faut l’associer ; tandis que d’autres, drapés dans leurs toges de scientifiques intègres et rigoureux, s’insurgent d’un usage non conventionnel de la substance.
Certains défendent l’éthique médicale contre l’éthique de la recherche scientifique comme si ce n’était pas la même chose.
Peut-être confondent-ils recherche médicale commerciale – désormais omniprésente au cœur des hôpitaux universitaires – et recherche scientifique médicale indépendante ?
Il est à craindre toutefois que ceux qui sombrent dans de telles confusions aient perdu leur boussole à force de ne fréquenter que le monde de la médecine marchande. Peu importe. La question d’aujourd’hui est : pourquoi tant de hargne rageuse à propos de la chloroquine ?
Sans être un ténor, ou une diva, de l’épidémiologie d’intervention – qui s’oppose à celle d’observation qui n’est, par définition, qu’observation et jamais expérimentation – il est très probable qu’en conduisant une expérience clinique sur des patients COVID-19, on aurait pu rapidement régler cette question de la chloroquine : les malades abondent dans les hôpitaux et peu de soignants auraient refusé de participer à un essai clinique puisque c’est ainsi qu’on désigne une expérimentation sur des humains.
Rappelons qu’en médecine, seule une expérience (un essai clinique) bien conduite permet de démontrer une relation de causalité, notamment que l’administration d’un médicament a un effet bénéfique, au-delà de l’effet placebo.
Il faudrait un livre entier pour décrire les méthodes, le rationnel et les précautions à prendre lors d’un essai clinique. Avant d’en dire quelques mots, une question s’impose : pourquoi un essai clinique testant l’hydroxychloroquine contre un placebo n’a pas encore été conduit ?
La question cruciale du placebo
Pourquoi ces ersatz d’essai clinique chinois et marseillais alors que rien n’empêche d’en conduire un correctement, et de façon acceptable pour tout expert de ce champ de la recherche scientifique médicale et indépendante ? Ainsi naissent les controverses futiles qui ravissent les médias : ils ont quelque chose à dire pour remplir les vides et les silences !
Je reviens à la question qui résume cette hargne partagée : pourquoi n’a toujours pas été fait un essai clinique correct testant l’hydroxychloroquine contre un placebo ?
Je n’ai pas de réponse ; sinon peut-être l’incapacité des autorités et des universitaires impliqués dans la querelle pour concevoir un essai clinique. Si on passe beaucoup de temps dans les aéroports et les bureaux feutrés de l’industrie des vaccins, on manque de temps pour organiser (et auparavant comprendre ce qu’est) un essai clinique. Comme disait la fermière à propos du meunier, on ne peut pas être « au four et au moulin »…
Cette incapacité, conceptuelle et méthodologique, est générale et n’est pas récente dans le monde hospitalo-universitaire mais elle s’illustre de façon caricaturale avec la querelle sur l’hydroxychloroquine. Les arguments échangés en témoignent. Un argument des uns, par exemple, pour justifier l’absence d’un essai clinique serait l’urgence de la situation.
C’est inexact : l’essai clinique randomisé est la seule façon de gagner du temps !
Un argument des autres serait le respect de l’éthique : être randomisé dans le groupe placebo serait une inadmissible perte de chance.
C’est encore inexact : seule la conduite d’un essai clinique permet de respecter les intérêts des participants
C’est en produisant des données faibles (potentiellement biaisées) que le patient perd ses chances (quel que soit le groupe de tirage au sort) et devient une sorte de cobaye. Car il est utilisé par l’investigateur sans espoir d’une meilleure information à son profit ou celui de la communauté des patients qui acceptent de participer à l’expérimentation. La première garantie du respect de l’éthique c’est la qualité du travail scientifique produit ; c’est-à-dire la production d’une information crédible et utilisable de façon consensuelle par les praticiens sur le terrain.
Que veut dire « qualité du travail scientifique »
Question préalable : une fois mises de côté les erreurs (intentionnelles ou pas), individuelles ou collectives:
Quel est le pire ennemi du scientifique en médecine ? Réponse : le hasard !
Le hasard peut faire prendre des vessies pour des lanternes, même aux plus chevronnés des investigateurs ;
Le hasard peut conduire à deux erreurs catastrophiques en recherche médicale :
1) Déclarer qu’un médicament est actif alors qu’il ne l’est pas,
2) Déclarer qu’un médicament n’est pas actif alors qu’il l’est.
L’obsession de tout investigateur, au-delà de toute considération personnelle, carriériste ou commerciale, est d’éviter ces deux erreurs. Nul besoin de miracle et nul besoin d’être un génie !
Au moins 40 années d’un effort collectif nous ont amené à définir strictement la méthodologie à suivre pour « conduire un essai clinique ». Ce que la crise du COVID-19 révèle tragiquement, c’est la méconnaissance de cette méthodologie par les élites universitaires et hospitalières. La querelle de la chloroquine fait tomber les masques. Sont-ils incapables de s’entendre pour organiser « un essai clinique » et résoudre la question de la chloroquine ?
Savent-ils même ce qu’est un « essai clinique » ? Il suffit de consulter les écrits des experts officiels de la médecine des vaccins (très impliqués dans la querelle de l’hydroxychloroquine), pour constater cette ignorance. Bien sûr, on ne connait que ce que l’on pratique. En l’absence de pratique, on ne connaît pas !
Qu’est-ce qu’un essai clinique ? On trouvera des exemples et les règles à suivre dans tous mes livres en français. Pour avoir la liste, visitez le blog : michel.delorgeril.info.
Règles intangibles concernant les essais cliniques de qualité
Outre que l’essai clinique doit être randomisé (comporter un tirage au sort), et contrôlé (le médicament est comparé à une substance dite contrôle, de préférence un placebo), il doit être conduit en double aveugle. De plus, il faut :
- Règle 1 : définir très précisément la population étudiée.
- Règle 2 : définir très précisément (quantitativement) le risque de la pathologie qu’on veut empêcher ou réduire dans cette population. Exemple : combien de patients SARS-Cov-2 positifs vont avoir besoin d’une ventilation artificielle ?
- Règle 3 : définir très précisément (quantitativement) la diminution du risque que l’on veut tester grâce au médicament. C’est l’hypothèse primaire. C’est le nœud de l’essai clinique car c’est la seule façon de contrôler au mieux l’effet du hasard.
La réponse à cette hypothèse primaire sera oui ou non car elle doit être formulée de façon simple.
Soit un exemple très simple : je pose l’hypothèse que l’hydroxychloroquine diminue de 50% le risque d’un patient testé positif d’avoir besoin d’une ventilation artificielle.
Un autre investigateur peut poser une autre question mais c’est un autre essai clinique. De cette hypothèse (50% de réduction du risque) et du paramètre clinique (exprimé quantitativement) d’avoir besoin d’une ventilation, on en déduit précisément le nombre de patients à randomiser et la durée de l’essai requis pour tester l’hypothèse primaire. Ce sont des calculs simples.
- Règle 4 : respecter l’unité de temps et l’unité de lieu. Les patients doivent être recrutés pendant une période courte et dans une zone géographique homogène. On peut certes conduire un essai multicentrique, mais il faudra faire en sorte que dans chaque centre de recrutement, les patients tirés au sort dans le groupe expérimental soient en nombre égal à ceux tirés au sort dans le groupe contrôle et dans le même espace-temps.
En appliquant ces règles, on est au-dessus de toute manipulation, du sponsor, des investigateurs et surtout du hasard.
La tragique crise actuelle du COVID-19 facilite les choses car il y a des investigateurs sur le terrain et un flot de malades dans les unités de soin et les consultations externes… Qu’on ne le fasse pas indique probablement qu’on ne sait pas le faire. Encore pire, la plupart ne savent pas qu’ils ne savent pas le faire.
La portée limitée d’un essai clinique de qualité
Une fois l’essai clinique terminé, on a réponse à la question posée. Par exemple, l’hydroxychloroquine diminue de 50% le risque d’avoir besoin d’une ventilation chez le patient positif pour le SARS-Cov-2.
Mais ça ne répond qu’à cette question. On ne sait pas si l’addition d’un antibiotique diminue encore plus le risque. On ne sait pas si l’hydroxychloroquine est efficace chez le patient déjà ventilé. On ne sait pas si l’hydroxychloroquine est utile chez la personne négative au SARS-Cov-2. Et bien d’autres questions sans réponse.
D’autres essais cliniques sont nécessaires pour répondre à chacune de ces questions.
La recherche médicale est une œuvre collective. Plusieurs équipes doivent travailler sur des hypothèses différentes pour avancer de concert. C’est très faisable avec la chloroquine car les patients sont nombreux dans les hôpitaux et les hypothèses testées couvrent des périodes brèves de la maladie.
Querelles et non-méthodes
Depuis le mois de Janvier 2020, on aurait pu répondre à plusieurs de ces questions, plutôt que se quereller. Sans refaire l’histoire, on peut penser que l’équipe la plus avancée (celle de Marseille) aurait pu dès Janvier 2020 proposer plusieurs protocoles aux autres équipes nationales (et étrangères) et ainsi organiser (coordonner) un fécond travail de recherche clinique de façon multicentrique.
Deux obstacles sont apparus :
- l’équipe marseillaise (selon les écrits de son sympathique Directeur) ne voit pas l’intérêt des essais cliniques bien conduits et, apparemment, ne comprend pas de quoi il s’agit ;
- les autres équipes souffrent d’une sorte d’allergie vis-à-vis de l’équipe marseillaise et ne comprennent pas non plus l’urgence des essais cliniques bien conduits.
Ainsi se querelle-t-on dans les cours de récréation ! Pendant ce temps, les patients passent…
L’équipe marseillaise a pris l’initiative de médiocres études mal conduites pour justifier la distribution d’hydroxychloroquine aux personnes SARS-Cov-2 positives de Marseille qui en font la demande.
Ils peuvent éventuellement obtenir des résultats (non scientifiquement fondés) encourageants en bénéficiant d’un effet placebo majeur et surtout de « l’effet magique » lié à la personnalité du grand professeur marseillais qui, seul contre tous…
Surtout si cette équipe a pris l’indispensable précaution de surveiller attentivement tous les patients qui recevaient l’hydroxychloroquine avec des électrocardiogrammes répétés (dont l’interprétation n’est pas aisée).
Cet effet placebo doublé de l’effet magique du grand professeur à barbe blanche se reproduira-t-il dans la banlieue de Montevideo ou les bidonvilles de Lagos quand les mêmes comprimés d’hydroxychloroquine seront distribués par des bénévoles de l’Armée du Salut ? Evidemment sans électrocardiogramme de contrôle.
Absence de donnée précise pour les médecins de première ligne
Sans aller si loin, que peut espérer un brave généraliste pratiquant à la frontière belge, sur la côte Normande ou les faubourgs de Limoges ?
En l’absence de données scientifiques solides, les expériences marseillaises sont de peu d’utilité pour des médecins pratiquant ailleurs et différemment car elles ne sont pas extrapolables.
Bref, on n’aura rien appris de l’expérience marseillaise. L’effet placebo doublé de l’effet magique aura peut-être rendu service à quelques patients marseillais et on peut s’en réjouir. Mais c’est simplement anecdotique, trompeur et surtout mensonger si on prétend que cette expérience a valeur universelle.
Je n’en voudrais pas au professeur marseillais, ou à tout autre médecin généraliste pratiquant à la frontière belge, sur la côte Normande ou les faubourgs de Limoges, de prescrire de l’hydroxychloroquine à des patients demandeurs (ou suppliants) en espérant leur faire du bien, sur la base de son intuition ; et en prenant toutes les précautions cardiologiques.
Je reconnais la nécessaire indépendance de prescription des médecins.
Mais voilà, ce n’est pas ce qui est arrivé ! Le constat est calamiteux :
- Je ne sais toujours pas si la chloroquine est bénéfique contre le COVID-19 ;
- Les autorités sanitaires, encore plus désemparées qu’avant, en ont interdit la prescription en médecine générale ;
- L’hydroxychloroquine fait l’objet d’un marché noir et pourrait manquer à ceux qui en ont vraiment besoin (par exemple ceux qui ont un lupus)
Ultime argument : certains pourraient dire qu’en l’absence de traitement efficace (au moins un peu), il serait inhumain de ne rien faire et décide donc de prescrire, ou d’exiger qu’on leur prescrive, de l’hydroxychloroquine.
La tentation est forte. Faut-il résister ? La question est mal posée.
Décider de traiter en l’absence de données (d’un savoir crédible) revient à totalement se livrer aux effets du hasard.
Tel médecin malchanceux traitera 30 patients avec la chloroquine et aura deux décès, l’un du COVID-19 et l’autre d’une complication cardiaque de l’hydroxychloroquine. Tel autre médecin très chanceux s’abstiendra de traiter les 300 personnes de sa patientèle et n’aura aucun décès dû au COVID-19.
C’est une question de chance défendra le premier médecin. Certes ! Mais cet exemple chiffré n’est qu’une caricature pour illustrer le raisonnement. La rumeur implacable amplifiera les faits, le malchanceux sera accablé et le chanceux porté aux nues.
Car le hasard (ou la chance) n’est pas seulement le pire ennemi du scientifique, le hasard est aussi l’ennemi du brave généraliste pratiquant à la frontière belge, sur la côte Normande ou les faubourgs de Limoges. Nous sommes tous dans le même bateau.
Différencier le hasard qui trompe le scientifique de celui qui fourvoie le généraliste n’est pas très rationnel. C’est dit avec courtoisie…
C’est pourquoi il faut encourager, défendre, combattre pour une Médecine Scientifique et Indépendante car elle-seule permet de s’affranchir des effets calamiteux du hasard. C’est ce que les hospitalo-universitaires devraient faire de toute urgence.
Certes, cette approche scientifique ne peut pas répondre à toutes les questions suscitées par la pratique de la médecine quotidienne. D’où la Bienveillance que préconise l’AIMSIB.
Mais, à propos de l’hydroxychloroquine – qui est l’objet de ce texte – il y a au moins une certitude : c’était à la médecine scientifique de répondre à la question posée ; et elle le pouvait aisément et rapidement.
Prions pour que d’autres investigateurs sous d’autres cieux soient dans des conditions adéquates pour tester ce médicament de façon crédible.
Mais dans le brouhaha suscité par les douteuses entreprises marseillaises, beaucoup de patients n’accepteront pas de recevoir un placebo, préférant eux-aussi se livrer aux effets du hasard. Cette possible auto-sélection des patients sera un premier biais majeur à surmonter par ces courageux investigateurs.
En conclusion, faut-il rappeler que ces questions à propos de l’hydroxychloroquine sont aussi anciennes que la médecine ; et les médecins d’hier n’avaient pas le recours à la médecine scientifique pour les aider face à ces douloureux dilemmes.
Depuis des siècles, le médecin conventionnel applique deux règles primaires que nous aurions tort, aujourd’hui et dans la tourmente, de ne pas respecter :
- D’abord ne pas nuire ;
- Dans le doute, abstiens-toi !
Conclusion
Que la question de l’hydroxychloroquine puisse servir d’exemple pour d’autres questions médicales est peu probable tant les élites hospitalo-universitaires sont imperméables au raisonnement scientifique.
Prenons l’exemple d’une maladie bénigne comme la rougeole, qui fait pourtant l’objet d’une obligation vaccinale. Nous n’avons pas d’évidence que le vaccin soit utile (contrairement aux clameurs des élites subventionnées) et nous n’avons pas de traitement [sauf des immunoglobulines qui peuvent rendre de grands services chez certains patients immunodéprimés].
Que préconisent les élites et que font la majorité des praticiens, croyant bien faire ?
Faute de traitement, la prudence (transformée en obligation) serait selon eux de vacciner tous les bébés sans exception. On ignore pourtant si c’est utile et on confie ainsi le sort des bébés au hasard. Ce n’est évidemment pas éthique, mais suscite bien peu d’émotion dans les médias. Pour se légitimer, on est obligé de nier l’existence des complications neuro-psychiatriques post-vaccinales, pourtant clairement décrites par des observateurs au-dessus de tout soupçon.
Hydroxychloroquine, COVID-19, rougeole, vaccins obligatoires sont des manifestations diverses et variées des graves maladies dont souffre la médecine contemporaine, lugubre reflet de son époque.