Imagerie des carotides : utile ou néfaste ?

L’imagerie médicale est un business florissant ; pour ceux qui font les images (souvent radiologues mais aussi angiologues et cardiologues, par exemple) et pour ceux qui vendent les machines à faire des images.
On laisse de côté l’imagerie des fœtus dans le ventre de leur maman, c’est trop mignon et sans doute très utile, ce n’est pas le propos d’aujourd’hui.
Il y a bien sûr d’autres images qui peuvent être cliniquement formidables et même salvatrices ; mais on parle ici de faire des images systématiques des artères carotides à la recherche de sténoses qui pourraient s’avérer dangereuses pour le cerveau de celui ou celle chez qui on image une sténose.
Même un opérateur peu entrainé peut faire (vite) de belles images des carotides car elles sont facilement accessibles au niveau du cou ; et ces images sont bien payées par la sécu. Beaucoup d’avantages donc à faire ce genre d’images ! On ne parle donc pas des images obtenues par cathétérisme artérielle ; seulement des techniques non-invasives, les spécialistes me comprennent.
Il y a deux circonstances principales, en simplifiant, où des médecins font – devraient ou ne devraient pas faire – ce genre d’image :
–  soit le patient a (ou a eu) des symptômes neurologiques variés (de la syncope aux pertes de mémoire) et on cherche une explication du côté des artères qui irriguent le cerveau ;
–  soit il est totalement asymptomatique et on examine ses artères pour voir si … ; si dès fois que … ; on ne sait jamais …
Évidemment, la très grande majorité des imageries des carotides sont faites dans le deuxième contexte ; ce qui coûte cher ; à un moment où nous devons trouver des économies, comme on dit à la télé.
Laissons de côté le coût de ces examens [la santé n’a pas de prix !] et demandons-nous si c’est utile de faire ces images pour notre santé ! Je rappelle que nous excluons les cas où il y a eu de vrais symptômes neurologiques.
La réponse est répétitive de la part des Autorités de Santé aux USA et ailleurs, sur la base d’études à peu près sérieuses : il ne faut pas faire ce genre d’imagerie en l’absence de symptômes, ce n’est pas bon pour les patients. Pourquoi ?
Mettons-nous en situation. Mon patient a un cholestérol un peu élevé, ou il a un peu d’hypertension ou une glycémie un peu élevée [tout ça selon des critères fort litigieux …] ; il n’a aucun symptôme neurologique mais il s’inquiète de l’état de ses artères ; son généraliste aussi.
Pour les rassurer, on programme une imagerie des artères … et patatras, on trouve une sténose sur une carotide. Affolement général immédiat !
Continuons la mise en situation.
Soit cette sténose est peu sévère ; et on commence (dans la précipitation) des traitements médicamenteux : aspirine ou autre antiplaquettaire, statine, antihypertenseur si ça n’était pas encore le cas … Et voilà qu’un être bien portant jusque-là devient un malade … chez lequel pourtant on ne soigne qu’une image !
On refait des images tous les 6 mois (voire tous les 3 mois), on augmente les doses de médicaments, les effets secondaires ne tardent pas … qui nécessitent d’autres médicaments ; qui provoquent d’autres effets secondaires …
Bref, le cycle infernal dont on ose rarement sortir, hélas.
Soit la sténose est sévère (on dit « serrée » entre spécialistes) et on programme de la chirurgie [l’opération s’appelle une endartériectomie], ou bien la pose d’un stent pour déboucher l’artère fautive ; et après, on ajoute tous les médicaments suscités ; si on a survécu à la chirurgie et si on est sorti indemne du stenting.
A-t-on démontré que toute cette agitation pour soigner des images sans symptôme était utile au patient ?
Concernant la chirurgie et le stent, le consensus est qu’on ne rend pas service aux patients : plus de complications que de bénéfices !
Bien, si vous voulez vous débarrasser de votre belle-mère …
Avec le traitement médical, même chose, pas de bénéfice de traiter des images ; une fois qu’on a éliminé tous les rapports télécommandés par l’industrie …
Cette absence d’effet bénéfique du traitement des images rappelle l’absence d’effet du traitement des sons. En effet, du temps où l’imagerie ne se faisait pas, les médecins auscultaient encore les carotides de leurs patients et entendaient parfois des souffles qui témoignaient de la présence de sténose dans les carotides. Et déjà le consensus était que la présence d’un souffle ne suffisait pas à motiver des examens complémentaires, donc des images, et encore moins des traitements toxiques ou dangereux !
Leçon du jour : en l’absence de symptôme clinique, on ne doit pas faire des images des artères ; ça nous conduit dans des culs de sacs thérapeutiques ! Voilà où nous conduit la civilisation des images ; et des jeux (vidéos) qui souvent vont avec !
Deuxième leçon : dans tous les cas, il faut adopter un mode de vie protecteur ; mais ça, ce n’est pas du business ; donc on n’y pense même pas ; plus lucratif de faire de images !