Alcool, vin et cancers : que faut-il croire ?
Il s’agit de la reproduction de l’article publié dans le journal LE MONDE le 21/03/09 avec David Servan-Schreiber et Richard Béliveau. Chaque lecteur trouvera un complément d’information indispensable dans notre livre « Alcool, vin et santé » par M. de Lorgeril et P. Salen (Editions ALPEN). En effet, tout message simple à destination du public (ce qui inclut le corps médical dans son ensemble et les scientifiques ne travaillant pas sur cette problématique spécifique) est inéluctablement simpliste voire caricatural. Cet article avait donc pour but prioritaire de susciter la critique et la réflexion.
Vin et cancer, que faut il croire ?
Fin Février 2009, coup sur coup, une étude majeure de l’université d’Oxford au Royaume Uni et un rapport de l’Institut national du cancer en France ont conclu que l’alcool était cancérigène, et ce, dès le premier verre, y compris dès le premier verre de vin rouge.
L’étude anglaise en particulier, parce qu’elle porte sur plus d’un million de femmes vivant au Royaume Uni remet sérieusement en question les conclusions qui avaient été acceptées jusque-là, et selon lesquelles une consommation modérée de vin rouge (un verre par jour pour les femmes, deux verres pour les hommes) pouvait au contraire avoir un effet protecteur contre certain cancers.
Que faut il penser de ces assertions documentées par ces nouvelles études ?
Personne ne met en doute que la consommation excessive d’alcool est dangereuse pour la santé, et induit des cancers.
La plus dangereuse étant la consommation qui consiste à se saouler en dehors des repas.
Par contre, la consommation régulière et modérée de vin, de vin rouge en particulier, est considérée comme un pilier de la santé depuis des millénaires. Et effectivement, de nombreuses études ont observé un effet protecteur majeur du vin rouge (environ deux verres par jour) contre les maladies cardiovasculaires. Un effet que ces récentes publications ne remettent pas en question.
Ces différences montrent que l’effet protecteur du vin (rouge en particulier) est plus marqué lorsque celui-ci est consommé dans un contexte précis : au cours d’un repas, et dans le cadre d’une diète méditerranéenne. La diète méditerranéenne inclut de nombreux légumes riches en polyphénols, flavonoïdes, beta-carotènes, et folates (entre autres composés phytochimiques favorables à la santé), et un équilibre très favorable en acides gras oméga-3 par rapport aux oméga-6.
Un point capital qui a été peu discuté est que l’augmentation impressionnante de 160% du risque de cancer des voies aériennes et digestives supérieures (VADS) n’était observée que chez les fumeurs. Il n’y avait pas d’augmentation significative du risque chez les non-fumeurs.
Encore une fois, c’est la synergie de nos habitudes, bonnes ou mauvaises, qui semblent déterminantes pour le développement des tumeurs.
On voit bien que les effets de l’alcool sur le risque de cancer dépendent du contexte (alcool en dehors des repas vs. un verre de vin à table, nature des autres aliments de la diète, tabagisme ou non) dans lequel cette consommation se fait. Ceci est d’autant plus important qu’on sait depuis plusieurs années que plusieurs facettes du mode de vie exercent une influence déterminante sur le risque de cancer et il est évident que ces facteurs peuvent aggraver les effets de l’alcool sur la santé.
A cet égard, le nouveau document issu de la collaboration du Fonds mondial de recherche contre le cancer et de l’American Institute for Cancer Research, Policy and Action for Cancer Prevention, estime que plus du tiers des cancers peuvent être prévenus par une alimentation saine, l’activité physique régulière ainsi que le maintien d’un poids corporel normal. Ce pourcentage atteint même 48% dans le cas du cancer du sein.
L’étude d’Oxford ayant été faite au Royaume Uni, on sait que ces femmes représentent une population à haut risque de cancer étant donné la forte proportion d’entre elles qui ne mangent pas une quantité suffisante de végétaux, sont inactives physiquement et présentent un excédent de poids. De plus, ces femmes consomment en moyenne 15 à 30 fois plus d’oméga-6 que d’oméga-3 dans leur diète habituelle. Ceci est très éloigné du rapport de 5/1 ou moins qui caractérise la diète méditerranéenne. Ce régime anglo-saxon riche en oméga-6 augmente le risque de cancer en lien avec l’alcool, un impact néfaste qui ne peut qu’être accentué par une hygiène de vie déficiente. Donc, même s’il ne faut pas prendre à la légère les résultats d’analyses aussi poussées que celles mises en avant par l’Institut national du cancer , ni les résultats d’études aussi sérieuses que celle de l’unité d’épidémiologie de l’université d’Oxford, il faut néanmoins se rappeler que le potentiel de prévention du cancer par de simples modifications au mode de vie est beaucoup plus important que l’augmentation du risque notée dans l’étude d’Oxford.
En définitive, une personne qui adopte une alimentation saine, a une l’activité physique et parvient à maintenir un poids santé tout en consommant modérément du vin rouge aura beaucoup moins de risque d’être touché par un cancer qu’une personne qui ne boit aucun alcool mais qui mange mal, est sédentaire et souffre d’un excès de poids.
Par ailleurs, il reste vrai aussi que dans certains cancers, l’alcool, et le vin rouge en particulier, est associé à une réduction du risque. Dans l’étude d’Oxford, la consommation modérée d’alcool était associée à une réduction du risque pour le cancer du rein, de la thyroïde et du lymphone non-Hodgkinien.
Une étude plus ancienne avait elle aussi constaté une réduction du risque pour le cancer de la prostate en relation avec la consommation de vin rouge. De plus, il existe une grande différence dans l’augmentation du risque de certains types de cancers selon le type de boissons alcoolisées consommées. Par exemple, alors que dans l’étude d’Oxford le vin rouge n’a aucun effet sur le risque de cancer du foie, les autres types d’alcool augmentent de 31% le risque de ce cancer. Une situation similaire est observée pour le cancer du côlon, la consommation modérée de vin rouge diminuant de 7% le risque de ce cancer alors que les autres boissons alcoolisées l’augmentent de 3%.
On connaît aussi de nombreux exemples où les recommandations nutritionnelles pour la santé, aussi affirmatives, voire péremptoires, qu’elles aient pue être, se sont avérées fausses, et même dangereuses. C’était le cas dans les années 1960 de l’injonction d’abandonner le beurre pour des margarines à base d’huiles végétales, dont on sait aujourd’hui qu’elles ont été responsables d’une épidémie considérable d’infarctus (à cause de l’excès d’oméga-6 et d’acides gras trans dans les margarines industrielles). C’était le cas, en France, de l’injonction d’abandonner l’huile de colza dans l’alimentation humaine, alors que l’on a découvert depuis que c’est une des huiles qui protège le mieux le système cardiovasculaire, et contribue sans doute aussi à la réduction du risque de cancer, grâce à sa richesse en oméga-3.
Que faut il conclure ?
Sur la base des études existantes, il semble clair que dans de nombreuses circonstances, la consommation d’alcool augmente le risque de cancer. Toutefois, il n’existe pas de données suffisantes pour affirmer que la consommation modérée de vin rouge, au cours des repas, et dans le cadre d’un régime méditerranéen, est associée à un risque accru de cancer. Bien au contraire, on sait qu’elle est bénéfique contre les maladies cardiovasculaires, et il est fort possible qu’elle le soit aussi contre le cancer.
Il faut se rappeler enfin qu’il est très facile d’arriver à des conclusions erronées lorsqu’on analyse un facteur alimentaire particulier (comme la consommation de vin) en dehors de son contexte culturel et alimentaire.
BIBLIOGRAPHIE
1. Allen, N.E., et al., Moderate Alcohol Intake and Cancer Incidence in Women. Journal of the National Cancer Institute, 2009. 101: p. 296-305.
2. CANCERALCOOL : Consommation de boissons alcoolisées (vin, bière et alcools forts) et mortalité par différents types de cancers sur une cohorte de 100 000 sujets suivie depuis 25 ans., 2009, Agence Nationale de la Recherche et INRA: Paris, France.
3. de Lorgeril, M. a
nd P. Salen, Alcool, vin et santé. 2007. Alpen Editions.
4. Baglietto, L., et al., Does dietary folate intake modify effect of alcohol consumption on breast cancer risk? Prospective cohort study. BMJ, 2005. 331(7520): p. 807.
5. Thorand, B., et al., Intake of fruits, vegetables, folic acid and related nutrients and risk of breast cancer in postmenopausal women. Public Health Nutrition, 1998. 1(3): p. 147-56.
6. Tjonneland, A., et al., Folate intake, alcohol and risk of breast cancer among postmenopausal women in Denmark. European Journal of Clinical Nutrition, 2006. 60(2): p. 280-6.
7. de Lorgeril M, Salen P. Le pouvoir des oméga-3. 2005. Editions ALPEN.
@pauline :
URGENTISSIME de lire mon dernier livre "Prévenir l’infarctus et l’AVC", ça pourrait vous sauver la vie ; et par là-même sauver la vie de vos patients !
Autre urgence : ne pas écouter vos confrères …
CT à 2.49
HDL 0.5
LDL 1.81
50 ans pas de facteur de risques sauf celui d’être un médecin spécialiste un peu stressée … surtout depuis ce dosage et après avoir demandé à plusieurs amis confrères la conduite à tenir autant d’amis, autant d’avis …
quel est le vôtre , cher confrère ?
grazie mille
@Valukhova :
La LLC est une pathologie banale, et longtemps bénigne, à votre âge !
Essayez d’oublier que vous l’avez, ça ne sert à rien de se faire du souci, il n’y a probablement rien à faire, et votre mari n’y est pour rien le pauvre ! Profitez de la vie et cessez de penser au passé !
Bon vent, matelote !
Bonjour Docteurs,
J’ai un peu pataugé de site en site pour atterrir comme un papillon, chez vous. J’ai 68 ans et l’on vient de me découvrir une LLC.
L’hématologue que j’ai vue à l’hôpital de Chambéry, à première vue de mon analyse, m’a "renvoyée à la maison" en me disant "il n’y a pas besoin de traitement pour l’instant".
Cela veut-il dire qu’il faut attendre que cela s’aggrave pour être soignée ?
Je suis donc allée "voir ailleurs" et vous pensez bien que je suis, malgré tout, désappointée.
Que pensez-vous d’une telle situation, moralement, également ?
Mon mari est un grand invalide de guerre de 73 ans et vous pensez bien que ce n’est pas lui qui va m’encourager.
Bien au contraire, car le stress qu’il m’a provoqué depuis onze années, n’y est sûrement pas pour rien.
Mais je me suis laissée tomber "dans la gueule du loup" par sentiment de devoir et de mission auprès de lui.
SVP, soutenez-moi.
Aidez-moi !!
Cher Philippe,
Promis, juré, je fais un petit billet sur ce blog à propos de cette étude dès que j’ai un peu de temps ! Bonne Année à toi !
Cher Michel,
As-tu lu l’article "Estrogen Receptor Alpha as a Key Target of Red Wine Polyphenols Action on the Endothelium" de Chalopinh et al., concernant l’action de la delphinidine sur l’activateur d’ERα qui pourrait suffire à allumer la voie NO dans les cellules endothéliales ? Expliquant (en partie) ainsi l’action protectrice des polyphénols vis à vis des maladies cardio-vasculaires.
Merci d’avance pour ton avis.
Amitiés,
Philippe
MdL fait ici une excellente analyse de la question "vin & cancer";
Après avoir "démontré" qu’un régime méditerranéen sauve les cardiaque,
MdL continue a faire du bon travail.
Dommage qu’il ne fasse pas partie des experts de l’INCa !
fcorpet.free.fr/Denis/Vin…
Une vision un peu différente de la question Vin & Cancer
cher ccmiens,
Beraud est sympa, c’est sûr, mais un peu « limite » ! Sans flagornerie aucune, vous trouverez encore mieux avec notre livre « alcool, vin et santé » aux éditions Alpen. Amitiés
Bonjour Docteur,
Ici un de vos confrères en gros d’accord avec vous : http://www.claudeberaud.fr/?53-l...
Un de vos articles est même référencé. Vous connaissez sûrement. Mais pas vos lecteurs.
Amicalement
D’accord à propos de la vitamine D. Surtout pour des pauvres québécois vivant dans des zones peu ensoleillées. Une bonne façon d’avoir sa dose annuelle est de prendre une ampoule par an dosée à 200,000, comme font les pédiatres chez nous autres.
C’est ce que je fais chaque année, mais je n’ai pas vérifié si c’était suffisant … Amicalement
Sans oublier la carence importante de vitamine D dont souffrent une grande partie de la population surtout durant les mois hivernaux.