Astucieux calculs à propos des effets de l’arrêt des statines : effet boomerang typique !

Que nous sert-on en ce mois de juillet 2016 sous le titre « Impact d’un évènement médiatique public sur l’utilisation des statines dans la population française » ?
C’est publié dans un médiocre journal (Archives of Cardiovascular Disease) que personne ne lit ; sauf quelques journalistes encore plus médiocres et sans doute alertés par les auteurs afin d’en faire la promotion ; citons un Vincent Richeux [pour une Agence de Presse Médicale]  et un Damien Mascret pour le Figaro, connus (le journaliste et le journal) pour leurs positions très « indépendantes et super-expertes » sur la question des statines. On ne rit pas, c’est du sérieux ; prenons 5 minutes ; plus, ce serait perdre son temps…

Ce titre ne dit pas le vrai message que veulent transmettre les auteurs de cette analyse et que les médias complices (suscités) vont, eux, diffuser avec force : l’arrêt des statines en France suite au livre de Philippe Even publié en Janvier 2013 aurait provoqué une dizaine de milliers de décès.
Ils veulent affoler la population ; et ainsi dissuader tout individu qui s’est vu prescrire une statine de stopper son traitement.
En fait, c’est curieux mais c’est ainsi, leur analyse montre exactement le contraire de ce qu’ils veulent prétendre.
Je ne vais pas reprendre leur calamiteuse analyse évidemment mais retenir simplement que si leurs calculs étaient exacts, il y aurait eu environ 10,000 décès supplémentaires (dus à l’arrêt des statines) entre février 2013 et octobre 2013 en France. C’est eux qui le disent, ou le laissent déduire sur la base leurs calculs et observations.
Les statines ayant avant tout (et en théorie) un effet sur le risque cardiovasculaire, cette surmortalité cardiovasculaire aurait dû être identifiée par les unités de cardiologie. En effet, les statines n’ayant pas d’effet sur les arythmies malignes fatales et pas non plus sur la mortalité due à l’insuffisance cardiaque, cette catastrophique surmortalité cardiovasculaire n’aurait pu être due (si elle était survenue) qu’à des infarctus et des AVC mortels
Sachant comment la moindre oscillation de la mortalité mensuelle sur les routes (pour un total annuel d’environ 2500) est rapidement identifiée et commentée par les Autorités sanitaires, il est clair qu’une augmentation de 10,000 décès en moins d’une année aurait été assez immédiatement identifiée sinon par les Autorités sanitaires – surtout après un délai de 3 ans, nous sommes quand même en Juillet 2016 ; ça donne du temps pour s’adapter – au moins par les Pompes Funèbres…
On peut suggérer (sans grand risque de se tromper) que ces 10,000 décès supplémentaires n’ont pas été détectés ; et ne sont probablement pas survenus… laissant penser que l’ensemble de cette analyse est probablement erronée.
D’où peut venir l’erreur ?
Quoique nous ayons une confiance limitée dans ces valeureux investigateurs (voir plus bas la liste des conflits d’intérêt), nous pouvons admettre que leurs chiffres concernant les arrêts des statines pendant ces 9 mois de suivi sont à peu près exacts. Ce sont donc probablement les chiffres de mortalité qui sont erronés.
Effectivement, nous avons hélas sous les yeux un festival d’idioties (je pèse mes mots) et d’inculture médicale et scientifique. Je vais prendre un ou deux exemples comme illustrations.
Comment nos amis définissent l’arrêt de la prise de statines ? Par un défaut d’exposition à une statine – qu’ils expriment par un manque de possession d’une statine par le patient selon leur base de données – d’au moins deux mois ; mais sans préciser si ce défaut d’exposition observé au cours des 9 mois de suivi est survenu lors du premier mois (en février 2013) ou lors de la dernière période du suivi (entre septembre et octobre 2013) ; et donc sans préciser si le défaut d’exposition a duré 9 mois ou 2 mois. Cet aspect est important quand on veut corréler ce défaut d’exposition – qui, selon ces brillants auteurs et leurs interprètes médiatiques, serait un défaut de protection – avec un évènement clinique aussi important qu’un décès.
Est-il raisonnable de penser qu’avec un défaut d’exposition (ou de protection) de 2 à 9 mois on puisse enregistrer un effet sur la mortalité ?
Examinons la courbe des effets d’une statine – extraite de l’étude LIPID publiée en 1998, présentée comme référence princeps par les auteurs eux-mêmes – sur la mortalité.

Même si la crédibilité des résultats de l’étude LIPID (testant la pravastatine contre un placebo) est très faible, du fait des énormes problèmes méthodologiques observé dans cet essai commercial, on voit immédiatement qu’il ne se passe presque rien en termes de mortalité pendant au moins deux ans (24 mois) dans cette étude ! Dans d’autres études du même type (et aussi peu crédibles), il ne se passe rien de visible pendant les 3 premières années…
Il n’y a donc aucun espoir de voir dans une calamiteuse étude d’observation un quelconque effet sur la mortalité lors d’un arrêt de prise de statine de 2 à 9 mois. Soyez raisonnables, chers collègues ! S’il a fallu de longues années à vos collègues sponsorisés de l’essai LIPID pour observer une supposée – je n’en crois pas un mot évidemment – réduction de 22% de la mortalité sur environ 5 ans en 1998 grâce à une statine, comment pouvez-vous clamer qu’en quelques mois une augmentation de 17% serait survenue en France en 2013 suite à l’arrêt des statines ?
D’autant plus que (comme souligné ci-dessus) si un effet des statines sur la mortalité peut être espéré, ce serait avant tout sur la mortalité cardiovasculaire. Pouvez-vous nous donner une idée de l’augmentation de la mortalité cardiovasculaire entre février 2013 et octobre 2013 dans votre cohorte ? Vous n’avez pas les chiffres ou vous ne voulez pas les fournir ?
Car c’est un point crucial : qu’est-ce qui a réellement motivé l’arrêt de la statine prescrite dans cette cohorte ? Le livre de Philippe Even et sa couverture médiatique ont peut-être joué un rôle. Mais la vraie cause ne serait-elle pas autre ? Par exemple que les patients se soient vus diagnostiqués une maladie grave (possiblement fatale) et que, l’argumentaire de Philippe Even aidant, le médecin traitant et le patient aient conjointement décidé d’alléger des traitements possiblement (certainement dans certains cas) générateurs d’effets délétères ou toxiques. Bref, la relation de causalité serait inversée : c’est parce qu’il est très malade que le patient stoppe le traitement et pas l’inverse !
Je conclue par deux remarques désagréables.
La première concerne les liens d’intérêt des auteurs de cette analyse. Nos joyeux lurons ne déclarent aucun conflit d’intérêt à titre individuel. Mais leur laboratoire INSERM a bénéficié de multiples cadeaux et contrats de l’Industrie (ci-dessous). C’est un peu comme si les célèbres Pieds Nickelés déclaraient face à leurs juges qu’à titre individuel ils étaient parfaitement innocents et qu’ils n’étaient en rien concernés par les méfaits commis par leur collectif… Naïfs ou cyniques ?

La deuxième remarque est un constat : le niveau scientifique (et éthique) des chercheurs français semble s’être dégradé de façon dramatique au cours des dernières années, quel que soit leur appartenance institutionnelle. Il n’y aurait donc personne dans leur environnement intellectuel pour les conseiller, ou au moins calmer leurs ardeurs ?
Conclusion finale : où serait l’effet boomerang évoqué dans le titre ? C’est simple. Ces auteurs (et les médias connivents) ont voulu montrer que les arrêts des statines (suite au livre de Philippe Even) auraient provoqué environ 10,000 décès cardiovasculaires en France en 2013.
Admettons que les chiffres d’arrêt des statines soient à peu près réalistes. Étant donné que la surmortalité cardiovasculaire prédite par nos collègues n’est pas survenue en 2013 (et sans doute pas en 2014), nous concluons que l’arrêt des statines n’a aucun effet délétère, au moins à court terme…
C’est une information (bien peu originale) que n’importe quel expert des pathologies cardiovasculaires aurait pu affirmer sans avoir besoin de la médiocre analyse que je viens de perdre mon temps à commenter.
En d’autres termes et sur la base des données connues (quoique douteuses) sur les effets (supposés) protecteurs des statines, il était illusoire de voir un quelconque effet délétère sur un suivi de quelques mois.