Prévention primaire et secondaire : késako ?

 
Suite au film sur le cholestérol et les statines diffusé sur ARTE, certains se posent la question de savoir si les statines peuvent être utiles quand même dans certaines circonstances.
Ceux qui ont lu attentivement nos livres savent que non ; mais ce blog sert aussi à préciser des points obscurs ; allons-y !
Certains, donc, persistent à dire (et écrire) que pour des raisons (qu’ils disent inconnues) les statines protègent un peu les patients qui ont déjà fait un premier infarctus ; contrairement à ceux qui n’en ont jamais fait.
C’est la distinction classique entre « prévention primaire » [empêcher un premier infarctus] et la « prévention secondaire » [empêcher un second ou troisième infarctus].
Cela a-t-il du sens ?
Cette distinction n’a aucun intérêt médical ou scientifique.
Un infarctus est un infarctus, c’est-à-dire une obstruction totale d’une artère coronaire par un caillot de sang qui s’est généralement formé sur le site d’une sténose (plaque d’athérosclérose) en cours de transformation ; pour diverses raisons, elle se transforme ; je ne rentre pas dans les détails maintenant.
Si un médicament est relativement actif pour empêcher un infarctus, par exemple l’aspirine en empêchant la formation du thrombus plaquettaire (phase initiale de formation du caillot qui va tout boucher), ce médicament est actif sur TOUS les infarctus : les premiers, les deuxièmes ou les troisièmes !
Le cholestérol ne joue aucun rôle dans ces processus pathologiques ; le faire baisser dans le sang avec une statine (par exemple) n’a aucune chance d’avoir un effet préventif.
D’où vient alors (et à quoi sert) cette notion qu’il y aurait une possible différence d’efficacité des statines en « prévention primaire » et en « prévention secondaire » ?
Ça n’a rien de physiopathologique. C’est un « truc » de la petite cuisine des essais cliniques. Pour comprendre ça, il faut avoir soi-même un peu cuisiné, de préférence avec des grands Chefs ; je vais essayer d’expliquer en deux mots et en simplifiant ; ce qui (la simplification) n’est pas ma spécialité ; mes enfants me le disent tous les jours : « papa, fais plus court… »
Les sales gosses ! Aucun respect !
Si vous voulez démontrer qu’un médicament est efficace (utile) dans une pathologie donnée, il faut tester ce médicament contre un placebo dans un essai clinique.
Vous devez poser une hypothèse dite primaire ; j’expliquerai un autre jour ce qu’est une « hypothèse primaire » ; c’est un point crucial !
Hypothèse : je teste si ce médicament diminue de 50% (par exemple) le risque d’infarctus.
Je recrute mes patients dans une population donnée bien caractérisée :
1) si je m’adresse à une population dans laquelle la fréquence de l’infarctus est faible, par exemple 1 pour 1000 patients par an, je vais devoir recruter beaucoup de patients que je vais devoir suivre longtemps pour démontrer une réduction du risque de 50% ;
2) si je m’adresse à une population avec une fréquence d’infarctus élevée, par exemple 1 pour 10 patients par an, il me faudra beaucoup moins de patients et la durée du suivi sera plus brève. Je fais exprès de caricaturer les chiffres pour expliquer.
Ce sont deux essais cliniques différents sur un plan très pratique, tout le monde a compris :
1) dans le 1er cas, je peux m’adresser à la population générale, en principe indemne d’infarctus au moment du recrutement ; recrutement aisé relativement mais le coût est important ; c’est le contexte de la « prévention primaire » ;
2) dans le 2ème cas, il s’agit généralement de patients qui ont déjà eu un infarctus [contexte de « prévention secondaire« ] et ils sont recrutés via un service hospitalier ; il faut donc (pour le laboratoire pharmaceutique détenteur du brevet de la molécule à tester) avoir accès aux services hospitaliers ce qui génèrent des difficultés spécifiques.
Telles sont les différences entre « prévention primaire » et « prévention secondaire« . Rien de scientifique ou médical, juste de la cuisine épidémiologique…
Ça n’a donc rien à voir avec la physiopathologie (le mécanisme causal) de l’infarctus et les effets biologiques des médicaments testés.
Pourquoi certains s’obstinent-ils à croire qu’il y a une différence ?
Je pense que, outre le manque de culture scientifique et médicale, il y a surtout des supposés experts qui ne veulent pas admettre qu’ils ont été (ou qu’ils se sont) trompés. Le cas typique est celui de la Direction de la revue Prescrire.
Ils ne peuvent pas changer un jugement qu’ils ont émis dans les années 1990s au moment où les premiers essais sur les statines ont été publiés, dans le contexte de prévention secondaire essentiellement.
Ils ne comprennent pas que depuis cette époque les règlementations des essais cliniques ont changé et que tous les essais récent sont négatifs, y compris en prévention secondaire.
Il faut faire l’effort de revoir l’historique des essais cliniques testant les statines.
C’est comme une randonnée en montagne : on ne voit pas le même paysage à l’aller et en montant (l’effort physique n’étant pas le même, on n’a pas les mêmes yeux) et au retour en redescendant.
C’est au retour qu’on voit le mieux les paysages traversés, des crêtes sommitales au fond de la vallée en passant par les alpages et les refuges.
Dans le cas des statines, il faut d’urgence revoir le film ; mais en commençant par la fin ; c’est là qu’on comprend tout.
Nous l’avons raconté dans nos livres, notamment « Cholestérol, mensonge et propagande » mais les rédacteurs de Prescrire ne lisent pas les livres de vulgarisation ; ils laissent ça au « petit » peuple et, de fait, ce « petit » peuple peu ou prou méprisé (par rapport aux éminences doctorales)  en sait plus qu’eux !
Et c’est finalement, telle est l’Histoire (avec un grand H), le « petit » peuple qui renverse les dictatures, notamment celles de l’Esprit !
Amen !