CHOLESTEROL ET STATINES : DELIQUESCENCE DES ELITES

Le spectacle de nos élites expertes en cholestérol et statines en cet automne 2014 – très bruyantes aux USA, très discrètes chez nous – vaut la peine d’être un peu commenté, histoire de se distraire entre deux pastis, à moins que vous ne soyez plus whisky ces jours-ci par temps gris…
C’est à propos d’une étude [dite IMPROVE-IT] dont les résultats sont beaucoup commentés dans les médias professionnels ; mais peu dans ceux destinés au grand public. Tant mieux ; mieux vaut rien dire que débiter des c…
Préambule : fin 2013, des amis des statines, soutenus par les grandes Agences du médicament américaines (je simplifie) annoncent que désormais ce qu’il importe ce n’est pas de diminuer le cholestérol, mais de se prendre sa statine, peu importe laquelle mais à bonnes doses ; j’ai déjà raconté ça dans des billets précédents, faciles à trouver.
Peu importe le cholestérol de départ (élevé ou non) et le cholestérol sous traitement, vous devez prendre votre statine !

Et ils ajoutent que les données scientifiques justifiant d’avoir des cibles de cholestérol à atteindre n’étaient pas solides ; bon !
Ils se basent pour décider des doses de statines sur un calcul du risque cardiovasculaire ; plus le risque calculé est élevé et plus… Bon !
Les amis du cholestérol-le-plus-bas possible, fort mécontents qu’on expédie de façon si cavalière 50 années de leur dogmatisme, réagissent : les scores utilisés pour calculer le risque de pathologie cardiovasculaire ne reposent sur aucune base scientifique solide.
Bien peu de science respectable dans les deux camps, à les entendre les uns et les autres ; et donc, comme diraient les commères de Shakespeare, beaucoup de bruit pour rien ; sauf que des dizaines de millions de pauvres gens se voient prescrire des médicaments toxiques sans aucune garantie (scientifique) qu’ils en tirent un quelconque bénéfice ; et tout ça avec la complicité de bureaucrates de toute obédience dont la principale caractéristique semble le partage d’une totale incompréhension de ce que devrait être un peu de science médicale ; ne serait-ce que pour respecter une éthique médicale basique [avant tout ne pas nuire !] ou simplement le code de santé publique. Bon !
D’où notre titre à propos de “déliquescence” et des “élites” car il n’y a pas une voix [mais peut-être suis-je dur d’oreille ?] pour leur dire de la jouer un ton plus bas, pour dire les choses très poliment.
Ce ne pourrait être qu’un ridicule duel opposant des analphabètes à des illettrés si ça ne cachait une toute autre question : est-ce prendre une statine qui est l’important ou est-ce abaisser son cholestérol le plus bas possible (notion de cible) ? Comme la statine abaisse le cholestérol, on pourrait penser que cette question est secondaire.
L’est-elle vraiment ?
Elle ne l’est évidemment pas si vous souhaitez commercialiser dans les plus brefs délais des nouveaux traitements anticholestérol qui ne sont pas des statines !
Si vous êtes un ami des statines, tout nouveau médicament susceptible de remplacer (ou compléter) les statines doit faire la preuve de son efficacité clinique (moins d’infarctus, d’AVC et surtout de décès cardiaque) par rapport aux statines. Cela nécessite des études supplémentaires, donc du temps et de l’argent. Nul besoin de faire un dessin : si vous avez un nouveau traitement anticholestérol à commercialiser, vous n’êtes pas dans le camp des amis des statines.
Par contre, si vous êtes un des amis du cholestérol-le-plus-bas possible, il suffit de démontrer que votre nouveau traitement lui-aussi diminue le cholestérol et vous pouvez espérer faire prévaloir cette simple propriété biologique pour obtenir sa mise sur le marché sans avoir à démontrer qu’il diminue le risque cardiovasculaire ; donc une importante économie de temps : environ 10 ans ; avec en perspective des profits avoisinant au minimum 10 milliards d’Euros par an.
Et tout ça même si de nombreux traitements (ou régimes) anticholestérol n’ont jamais fait la preuve d’une efficacité clinique, et ce malgré des études habilement biaisées pour essayer de le faire croire.
On comprend immédiatement que les enjeux commerciaux sont  considérables si de nouveaux traitements anticholestérol sont disponibles ; ce qui est le cas avec des nouvelles molécules injectables ; voir le site http://www.pcsk9forum.org/.
On comprend ainsi que les initiatives (fin 2013) des amis des statines sont bien embarrassantes pour le nouveau business pcsk9.
Et nous voilà avec l’étude IMPROVE-IT qui, selon certains experts amis du cholestérol-le-plus-bas possible, renvoie violemment le balancier de l’autre côté : il suffit, selon IMPROVE-IT, de baisser le cholestérol encore plus ou le plus bas possible avec des nouvelles molécules pour obtenir la mise sur le marché sans avoir à prouver que c’est mieux qu’une statine.
IMPROVE-IT compare les effets cliniques d’une statine avec ceux d’une statine+ézétimibe qui permet une diminution supplémentaire du cholestérol par rapport à la statine seule.
C’est une énorme étude (18,000 patients après un infarctus) qui a fait beaucoup parlé d’elle avant d’être publiée car les investigateurs ont retardé la publication des résultats ; ce qui nous rappelle de bien mauvais souvenirs (l’étude ENHANCE pour ceux qui ont lu nos livres ou nos articles sur ce Blog). Comme l’ézétimibe n’a jamais montré d’effet clinique bénéfique malgré un effet significatif sur le cholestérol, beaucoup (surtout les amis des statines) disaient que ce retard s’expliquait à nouveau (c’est-à-dire comme dans ENHANCE) par un manque d’efficacité clinique qu’on ne pourrait « avouer » que le plus tard possible ; le passage en générique est proche… Faut gagner du temps…
Nous n’allons pas rentrer dans les détails car nous ne disposons que de résultats fragmentaires de l’étude via les médias et surtout parce que toutes ces histoires sont franchement lassantes et sans aucun rapport avec une bonne médecine scientifique qui consiste, faut-il le rappeler, à poser une hypothèse a priori [concept fondamental et généralement incompris de nos élites déliquescentes] puis à mettre en place un essai clinique permettant de la tester en respectant scrupuleusement les règles bien connues de l’essai clinique [règles généralement mal connues de nos élites déliquescentes].
À propos d’IMPROVE-IT, on ne peut que constater que les investigateurs et leur sponsor ne sont pas vraiment dans la clarté : ils prétendent avoir démontré qu’une diminution supplémentaire du cholestérol avec l’ézétimibe entraîne des bénéfices cliniques ; mais l’étude a été prolongée plusieurs fois pour atteindre une durée inédite de 7 années (durée très inhabituelle puisque, en général, ce type d’étude ne doit pas dépasser 5 ans pour de solides raisons épidémiologiques qu’on peut résumer par la fameuse “régression à la moyenne”), ponctuée d’analyses intermédiaires multiples (et non justifiées puisqu’à l’arrivée ils crient qu’ils n’ont décelé aucun signal de toxicité) ayant nécessité de désaveugler l’étude très tôt au cours de l’essai (biais majeur dans tout essai clinique) et finalement aucune différence sur le nombre de décès [le seul critère recevable pour se défendre contre des maladies fatales] survenus pendant l’étude comme si les patients mourraient de toute façon tout en étant selon les investigateurs (partiellement) guéris … Mourir guéris est une perspective enthousiasmante, chacun le comprend.
On connaissait le biais dû à l’arrêt prématuré de l’essai, on aura maintenant le biais dû à l’arrêt retardé de l’essai : « Hello, Joe, dès que c’est significatif, tu nous dis et on arrête les frais… »
Et voilà IMPROVE-IT qui tombe vraiment très (trop) bien pour les adorateurs – très intéressés, on se presse au portillon pour faire partie des experts rémunérés, voir le pcsk9forum cité ci-dessus – des nouveaux anticholestérol injectables car ce devrait permettre d’économiser 10 années d’attente fébrile d’une démonstration (assez illusoire) que ces nouveaux médicaments sont supérieurs aux statines. Les bureaucrates d’ici et d’ailleurs, probablement très influencés par les politiciens-défenseurs de leurs industries nationales respectives, sont tout prêts de leur faire ce joli cadeau, les contribuables paieront, comme d’hab….
L’heure est à la résistance ! Indignons-nous, disait un vieux monsieur très sympa…
Faute d’un rapport détaillé de l’étude – et car il est important dans ce monde de brigands de rester prudent, et comme dit l’autre (Offenbach pour les intimes), « les brigadiers arrivent toujours trop tard » – on ne peut rien dire de plus pour le moment.
On pourrait toutefois s’inspirer de la chanson du brigadier mais c’est à réserver aux puristes et moins de 70 ans : http://www.deezer.com/track/77627083
Le prochain épisode pourrait s’avérer assez drôle car, d’un côté, certains amis des statines vont probablement retourner prestement leur veste et aller baver au portillon avec les amis du cholestérol-le-plus-bas possible tandis que d’autres amis des statines pourraient vouloir grossièrement, comme disait Napoléon la veille des grandes batailles, “camper sur leurs positions” (qui restent à notre avis encore assez fortes) et exiger quelques garanties supplémentaires concernant la validité de l’essai, et par exemple demander à avoir accès aux données cliniques brutes de l’essai pour en examiner la teneur, ce serait une première, ne nous faisons pas d’illusion !
Ce serait pourtant la seule façon de vérifier, ce qu’ils ne veulent pas, comme si il y avait quelque chose à cacher…