Dépistage des plaques d’athérosclérose sur les artères carotides : qui, quand, pour quoi faire ?

Les autorités sanitaires américaines – ou plutôt quelque chose d’approchant, c’est-à-dire l’USPSTF pour « the US Preventive Services Task Forces » – reviennent ces jours-ci sur un problème récurrent en médecine vasculaire et la prévention des AVC ischémiques : faut-il dépister (rechercher systématiquement) la présence de plaques des carotides en l’absence de symptômes.

Un résumé de la question dans un article récent [Chaturvedi S. To Screen or Not to Screen for Carotid Stenosis. Is That the Question? JAMA Neurol 2021;78:383-4].

Dit autrement, si on n’a pas de symptôme évocateur d’un impact sur cerveau d’une plaque présente sur une carotide, à quoi sert-il de chercher leur présence ?

D’un certain point de vue, c’est une façon de rentabiliser le matériel (couteux) qui sert à faire des images des carotides. Mais c’est une façon très vulgaire de voir les choses que je ne saurais partager.

D’un autre point de vue, au moment où les dépenses de santé atteignent des sommets dans les pays riches, se pose la question d’une répartition intelligente des dépenses : réduire les soins couteux inutiles et augmenter les soins à haute valeur ajoutée. C’est discuté dans un article récent [Oakes AH, Radomski TR. Reducing Low-Value Care and Improving Health Care Value. JAMA 2021;325:1715-6] dont j’encourage la lecture sans en faire une Bible.

D’un autre point de vue, les techniques d’échographie Doppler sont assez simples à mettre en pratique, ne sont pas invasives et donnent des informations intéressantes.
Pas toujours : quand je lis sur un rapport qu’on a identifié des plaques d’athérome, je comprends immédiatement que j’ai affaire à un amateur ou tout au moins quelqu’un qui ne comprend pas ce qu’est l’athérosclérose.
Évidemment, si on ne comprend pas ce qu’on voit, comment en faire une interprétation « raisonnée ».

Ainsi pleuvent des rapports abscons (je suis gentil) sur l’existence d’une athéromatose [un truc qui n’existe pas] localisée ou diffuse qui nécessiterait en extrême urgence la mise sous traitement par statine à fortes doses et aspirine à faibles doses. Malgré l’absence de symptôme !

Ainsi, on empoisonne des gens pour soigner des images !

Quelques fois, les plaques peuvent avoir une apparence serrée et l’opérateur bravement évalue le retentissement cérébral de ces sténoses, manifestant ainsi son incompréhension de la physiologie vasculaire cérébrale.

Parfois, même en l’absence de symptôme, on décide d’opérer ces patients avec plaque serrée. Traiter chirurgicalement ces plaques inquiétantes reviendrait encore à traiter des images ; avec toutefois quelques risques de complications car il n’est pas anodin d’aborder (ouvrir et « nettoyer ») une artère qui irrigue le cerveau à forte pression.

On peut prendre un certain risque si on a la certitude de soigner un patient, le soulager de ses symptômes passés ou à venir. Mais soigner une image ?

Question cruciale de l’USPSTF : à quoi sert de faire des images en l’absence de symptômes si on n’est pas certain d’intervenir ensuite ?

Difficile question mais pas nouvelle : dans le vieux temps (quand j’apprenais la médecine dans les années 1970 et 1980 dans les meilleurs hôpitaux Européen et américain), quand nous n’avions pas encore ces appareillages sophistiqués permettant de voir si bien les plaques dans les carotides, nous étions des subtiles « auscultants » et nous étions capables d’identifier des plaques sur les carotides en les auscultant et en trouvant des souffles évocateurs de rétrécissements ou de flux sanguins perturbés. C’était mieux que des images mais ce n’était pas des symptômes ; seulement des signes, et ce n’est pas la même chose !

Pour voir réellement les plaques et éventuellement guider le geste chirurgical, il fallait une artériographie (un geste agressif nécessitant une anesthésie générale) et dès lors se posait la question : fait-on une artériographie en l’absence de symptôme sur la seule base d’un souffle carotidien ?

La réponse était généralement négative (sauf quelques exceptions que je ne vais pas discuter).

De même, l’USPSTF aujourd’hui recommande de ne pas faire des images systématiques des carotides à la recherche de plaque d’athérosclérose [et pas d’une athéromatose qui n’existe pas !] en l’absence de symptôme.

Patatras ! Voilà que les plus hautes autorités américaines [conventionnelles et vénérables] déconseillent de faire ce que des praticiens (ici et ailleurs) font quotidiennement !

C’est une situation très gênante pour ces honnêtes praticiens.

Faire des images qui ne servent à rien, c’est faire semblant de soigner à des coûts qui ne sont pas négligeables. On ferait mieux de passer plus de temps à s’instruire (comprendre ce qu’est l’athérosclérose et la circulation à visée cérébrale) et plus de temps avec des patients qui nécessitent plus de soins…

Je ne sais que dire sinon que, une fois de plus, les pratiques médicales contemporaines (ici et ailleurs) ne sont pas rationnelles. C’est peu dire… Alors qu’il faudrait dire beaucoup plus !

Mais, quoique (comme navigateur d’origine malouine) j’ai un petit faible pour les îles anglo-normandes, je n’ai pas très envie de devoir m’y exiler ; comme il arriva à ce brave Victor…

C’est assez désespérant car ces questions ne sont surtout pas abordées chez nous.

Tel est notre sort, comme celui de ce musicien vieillissant que, selon la poésie musicale de Schubert (ci-dessous), plus personne n’écoute.

Combien, parmi les visiteurs de ce blog, vont prendre le temps d’écouter Schubert ? Et prendre le temps de comprendre le message ?

Pour aider, je mets plusieurs versions et même une avec un sous-titrage en anglais pour ceux qui ne comprennent pas l’allemand.
Prenez le temps !
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Chacun appréciera cette voix, ce personnage et aussi le jeu et les mimiques du pianiste.

Mais pour bien comprendre le message de Schubert en mettant ce poème en musique, outre la souffrance du vieillard (musicien) que personne n’écoute plus, il est mieux d’avoir la traduction (en anglais) du poème et une autre version, par un autre chanteur tout aussi émouvant.

Ce que Schubert nous dit, mais on peut le voir différemment, c’est que rien ne peut arrêter la marée quand la mer monte, jusqu’au moment où la mer se retire et laisse voir ce que la mer haute cachait…
Patience donc !

Cela dit, si vous n’aimez pas le piano et préférez la guitare, voilà :