Histoire de l'Accomplia ou "les déboires de la médecine scientifique"

La médecine scientifique a permis une amélioration considérable des pratiques médicales au cours des dernières décennies. Pourtant, nombre de professionnels dont je suis ont été témoins de dysfonctions majeures dans l’évaluation des nouveaux traitements : du scandale de l’anti-inflammatoire Vioxx à celui de la ritaline, tant d’exemples à citer. Le dernier en date, l’Accomplia, un médicament supposé bénéfique dans le surpoids, l’obésité et le diabète qui a été précipitamment retiré du marché le 24 octobre 2008.

Les tribulations d’un médicament anti-obésité au pays du Dr Pharma
Leçons et implications concernant la médecine dite scientifique

La médecine scientifique a permis une amélioration considérable des pratiques médicales au cours des dernières décennies. Pourtant, nombre de professionnels dont je suis ont été témoins de dysfonctions majeures dans l’évaluation des nouveaux traitements : du scandale de l’anti-inflammatoire Vioxx à celui de la ritaline, tant d’exemples à citer. Le dernier en date, l’Accomplia, un médicament supposé bénéfique dans le surpoids, l’obésité et le diabète qui a été précipitamment retiré du marché le 24 octobre 2008.

En deux mots : sur la base d’un dossier scientifique évalué par des « Autorités compétentes », l’Accomplia a été commercialisé en 2006 ; avec remboursement en France ce qui témoignait d’une grande confiance des experts dans les bénéfices attendus. Pourtant, le marché américain lui a été brutalement fermé en juin 2007 en raison d’un rapport bénéfice/risque (de suicide notamment) jugé inacceptable par les experts américains. Donc, en fonction de dossiers scientifiques identiques, des Autorités (qui ne diffèrent que par leur nationalité) prennent des décisions opposées à propos d’un médicament dont le potentiel thérapeutique était considérable.

Comment cela est-il possible ? Ecartons les explications du genre chauvinisme économique pour expliquer le rejet de ce médicament (non américain) par les experts américains. Une analyse du dossier montre que les experts américains avaient raison. Les experts français aussi auraient dû être sceptiques ! Pourtant ils ont défendu leur décision (commercialisation et remboursement) jusqu’à ce que l’industriel lui-même admette une année plus tard la dangerosité du médicament et décide d’interrompre sa commercialisation ; laissant ainsi nos brillants experts tout pantois, et toute honte à boire !

S’agit-il d’un exemple unique ou d’une spécificité française ? Dans une analyse de 192 essais comparant des médicaments anti-cholestérol, un article récent concluait (PLosMed 2007;4:e184) que ces essais étaient massivement biaisés et délivraient des résultats trop favorables aux souhaits des sponsors. On trouvera dans un livre récent* de nombreux exemples de biais évidents dans des rapports scientifiques de diverses nationalités sur les médicaments anti-cholestérol. Sans se prononcer sur les parts respectives de la malfaçon et de la malfaisance intentionnée dans ce naufrage de la médecine scientifique de tous horizons, on pourrait argumenter que certaines Autorités pourraient empêcher ces dérives. Mais que vaut, selon les universitaires américains auteurs de l’analyse citée ci-dessus, l’avis d’une quelconque Autorité dont la majorité des membres avoue des liens variés avec les industriels détenteurs des brevets ? Même question à propos de tous les Comités et Sociétés Savantes qui (en France et ailleurs) émettent des recommandations « officielles » concernant l’usage des médicaments. Des chercheurs américains de Harvard s’interrogeaient dans le journal médical britannique The Lancet du 20 janvier 2007 en conclusion d’une analyse de récents essais (avec des statines) : « Est-ce que les recommandations officielles à propos du cholestérol sont basées sur des preuves ? » Ils répondaient négativement.

Cette médecine scientifique est donc gravement malade. Les aventures d’Accomplia sont un exemple français assez bénin puisque, à titre de comparaison, on compte en France environ sept millions de consommateurs plus ou moins réguliers de médicaments anti-cholestérol pour un coût dépassant le milliard d’Euros annuels pour l’Assurance Maladie.

Mais le cas n’est pas forcément désespéré si on se décide à lui appliquer en urgence un traitement approprié. On doit d’abord exiger un retour aux bonnes pratiques en recherche clinique. Par ces temps de concurrence économique acharnée, cela passe par une condition préalable : protéger cette recherche de tout mercantilisme. Est-ce possible ?

La réponse est que la recherche clinique devrait être conduite indépendamment de tout sponsor et par des investigateurs n’ayant aucun lien avec les détenteurs des brevets. Ce serait tout à l’honneur d’un gouvernement avide de réforme, d’éthique et d’une économie efficace du Système de Santé d’initier cette réforme fondamentale de la recherche médicale. Il ne s’agit pas de dégager des moyens financiers nouveaux, bien au contraire, car cette recherche clinique devrait être financée par les entreprises intéressées. Cette recherche clinique serait alors conduite à coûts réels. Elle représenterait une charge financière considérablement inférieure à ce qu’elle est actuellement. Ce serait une source d’économie non négligeable pour l’industrie pharmaceutique et par voie de conséquence pour l’Assurance Maladie car ces médicaments pourraient être vendus beaucoup moins chers, à condition que leur utilité ait été démontrée par des investigateurs indépendants.

*Cholestérol, mensonges et propagande (par le Dr M. de Lorgeril, aux Editions Thierry Souccar).