Sur-diagnostic et sur-traitement

 
Que signifient « sur-diagnostic » et « sur-traitement » ?
C’est la traduction littérale de l’anglais « overdiagnosis » et « overtreatment » quoique notre « sur » ne dise pas vraiment ce que le « over » anglais dit, c’est-à-dire que ce n’est pas « un peu trop » mais « vraiment trop » ; j’espère être compréhensible…
Trop de diagnostic et trop de traitement ?
Qu’est-ce à dire ?
C’est une très mauvaise habitude et très contemporaine de la médecine dite moderne ; de plus en plus souvent dénoncée dans les médias professionnels américains ; et pas vraiment encore en francophonie…
Toujours un train de retard nos amis francophones. Essayons de corriger un peu.
D’autant que, vu le niveau pitoyable des médias professionnels français, il y a peu de chance que nous soyons accompagnés ou approuvés encore moins, dans cette démarche.
Pas de panique, je ne vais pas parler de vaccins, même si ce pourrait être un exemple très intéressant.
Que signifie « sur-diagnostic » ?
Pour éviter toute critique du style [le Dr de Lorgeril discrédite la médecine et les médecins ; ce qui est contraire au code de déontologie…], j’utilise ici une définition que chacun peut trouver en voyageant deux minutes sur Internet :
« Tout diagnostic de maladie qui s’avèrerait par la suite n’être jamais la source de symptôme redouté ou ne jamais causer le raccourcissement de vie attendu par ce type de diagnostic ».
Ça prend des proportions assez considérables ces jours-ci, comme on l’a vu à propos de certains cancers : thyroïde, sein, prostate…
Probablement, l’arbre qui cache une forêt « tropicale » très dense…
Vu des USA, c’est assez épouvantable. Les diagnostics de cancers sont posés de façon exagérée [je ne rentre pas dans le détail de « l’exagéré » à propos des cancers] et, inévitablement, les traitements entrepris sont excessifs : trop de chirurgie, de radiothérapie et de chimiothérapie considérées comme inutiles par beaucoup.
Se voir privé de sa thyroïde (et aussi de ses parathyroïdes au passage) alors qu’elles n’étaient pas vraiment malades et qu’on en a vraiment besoin pour rester en bonne santé, ce n’est pas drôle du tout !
Malheureusement, c’est à peu près la même chose en pathologie cardiovasculaire. Hélas !
Par exemple, pour la majorité des médecins d’aujourd’hui (gravement désinformés), le diagnostic de dyslipidémie équivaut désormais à celui de pathologie cardiovasculaire…
En d’autres termes, cholestérol élevé équivaut à athérosclérose qui équivaut à pompes funèbres et qui indique la prescription urgente de statines…
Bon !
On a compris le « sur-traitement » est l’inévitable escorte-boy du « sur-diagnostic » !
D’où cela vient-il ?
De l’idée (bienveillante a priori) qu’il faille faire le diagnostic des maladies le plus tôt possible dans leur évolution car plus on traite vite (ou tôt) et meilleur est le pronostic.
Dans certains cas, c’est certainement vrai. Évidemment !
Mais la venue d’une médecine hautement technologique a entraîné un phénomène inattendu : on voit, on mesure, on détecte des choses invisibles ou infinitésimales qui sont, on le découvre progressivement, sans rapport avec une éventuelle future maladie.
Dit autrement, on peut détecter (à certains moments de la vie des gens)  des choses qui peuvent paraître anormales mais qui vont en fait se corriger toutes seules. Rien faire dans ces cas-là est la meilleure façon d’agir…
Quoique, parfois, il faille peut-être agir… Comment savoir ?
C’est là que la médecine redevient un art ; ce qu’elle aurait toujours dû être ; et le médecin un artiste…
Ce qui n’est pas si difficile si on applique des règles simples qui sont aussi anciennes que la philosophie hippocratique.  Règle principale : d’abord ne pas nuire !
Autres petits trucs de médecin expérimenté : écouter et soulager les symptômes ; considérer et traiter la personne dans sa globalité
On ne soigne pas des chiffres (cholestérol, acide urique, glucose…) ; on ne soulage pas des images… J’espère être clair !
Sauf qu’on se heurte très vite à des difficultés inattendues, sans rapport avec la partie très humanitaire de la médecine.
En restant dans le domaine de la cardiologie, il faut reconnaître que la médecine moderne et très technologique nous a apporté des moyens diagnostics et thérapeutiques exceptionnels qui, dans certains cas pathologiques avérés, apportent beaucoup en termes d’efficacité et de sûreté. Il serait fou de s’en priver.
Autre exemple en dehors des cas très sévères, les techniques d’imagerie du coeur et des artères permettent de voir des choses (mais est-ce vraiment anormal ?) du vivant du patient qu’habituellement seule l’autopsie (quelques décennies plus tard) permettait de voir. Ce que nous découvrons actuellement (mais certains l’avaient compris depuis longtemps), c’est que certaines caractéristiques histologiques (apparemment anormales) des artères sont en fait transitoires et guérissent toutes seules.
Le mieux est de ne pas y toucher !
Reproduction d’un principe aussi vieux qu’Hippocrate : « dans le doute, abstiens-toi ! »
« Less is better«  [moins c’est mieux] est le nouveau slogan basique d’une nouvelle médecine américaine qu’on peut considérer comme « hyper-moderne » et déjà présente (promue) dans les plus grandes revues de médecine…
Mais ces technologies (dans l’industrie de la santé) ont un coût, et leur développement a nécessité de investissements en recherche et développement. Les investisseurs demandent (exigent) un retour sur leurs investissements. Normal !
Autrement dit, une utilisation importante de ces technologies est nécessaire (il faut multiplier les clients potentiels) pour assurer la couverture des coûts de recherche-développement et d’installation de ces nouvelles technologies.
Bon, vous avez compris : voilà la raison principale de beaucoup des sur-diagnostic et sur-traitement ; il faut rembourser ; et donc utiliser le plus possible ces technologies ; même chez ceux qui n’en n’ont pas besoin…
Qui paie ?
Laissons de côté la problématique aux USA !
Chez nous, c’est le plus souvent l’Assurance-maladie qui paie ; ce qui explique en partie ses déficits !
Dit autrement, l’Assurance-maladie finance (en grande partie et de façon indirecte) les nouvelles technologies et le business dans le domaine de la santé.
Et le déficit est épongé par l’impôt !
Mais il y a une limite du supportable à l’impôt : on demande donc à l’Assurance-maladie de diminuer son déficit. Normal, dira-t-on ! Faut faire des économies. Des choix cruciaux sont à faire, c’est du ressort du politique.
Va-t-on réduire les dépenses liées aux nouvelles technologies ?
Va-t-on aller à l’encontre des intérêts du business des nouvelles technologies ?
Dans ces nouvelles (et moins nouvelles) technologies, il y a bien sûr les nouveaux (et moins nouveaux) médicaments : statines, anti-PCSK9, etc…
Je laisse à chacun le soin de réfléchir à ces questions.
Cela dit, pour tout professionnel de santé qui vit les yeux ouverts, il est clair que les choix actuels pour réduire les déficits du système de santé vise à réduire les coûts de personnel [c’est couteux un salaire d’infirmière ou de médecin, à titre d’exemple…] et donc inéluctablement à :
1) mettre sous pression les personnels qui essaient d’assurer le même travail avec moins d’intervenants ; et qui sont à la fois exténués et privés de compensation salariale décente ;
2) diminuer la qualité des soins ; donc la partie humanitaire et compassionnelle des soins : toujours plus de technologie (trop souvent inutile et parfois dangereuse), toujours moins de compassion !
Telle est l’époque trouble que nous vivons ; qu’en dirait Schopenhauer ?